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De l’inconvénient d’écrire et tentatives d’espérer.
Quand j’entame un projet d’écriture j’ai devant moi des échos, des bruits étranges qui me sollicitent, aiguisent un silence que je ne soupçonne pas. Une matière informe commence à prendre forme. Ce peut être, par exemple, une phrase dans un livre, un journal, un mot et une image, une situation donnée. Ce peut être un trouble, une situation qui me bouleverse pendant un temps indéterminé. Je vais la ruminer longtemps. L’émotion fait de moi alors une tension permanente vers l’objet d’écriture.
Au commencement, mon travail s’apparente à une catastrophe, un désastre. J’écris troué. C'est-à-dire que je m’oppose à la structure. Je n’ai absolument pas de structure. La structure pourrait avoir un défaut, elle bouffe l’imagination. Je prends tout ce qui vient, mot, phrase, rêve, élément subversif de la nature, des hommes, coupure de presse sur le sujet, citation. Chose dite, vue ou entendue, tout est matériau. Pour moi, je nomme ce moment comme agir vers "le dedans des choses et d’ailleurs". Je note sur un cahier gris toilé les premières impressions, sensations. Je ne sais jamais où je vais. Je me perds en chemin. J’aime me perdre. Je crois à la digression. L’écriture a besoin de cette volonté de désordre. Ce que j’aime dans l’écriture c’est ma volonté du désordre, de la part irraisonnée qui surgit, comme si l’inconscient m’offrait des rêves, les yeux ouverts. Mon moi se multiplie, se cherche, se désincarne. Je peux être chien. Je peux être ange. Je peux être mort. Je suis tout et rien. Je suis dans la rumination. Ruminer l’écrit. Ruminer le réel. J’essaie d’entrer dans la matière, le centre du sujet. Tout sujet a un centre. Pendant cette période, je suis obsédé de l’obsession. Puis vient ensuite le travail de sonde, de fouiller ce qui apparaît comme personnage. Ce sont des tentatives. J’aime la tentative.
Mes personnages sont des paumés, des rêveurs, des cas pathologiques, tout ce qu’on voudra, mais jamais ils ne viendraient donner une leçon de morale. Ils sont la conséquence d’un trouble, d’un moment où j’invite le spectateur à s’interroger sur un fragment que le personnage traverse. Petit à petit le puzzle se met en place. Là commence mon travail de mise en place : mettre de l’ordre dans le désordre et ainsi de suite. Cette poétique de l’impossible. Je suis un chef d’orchestre qui veut entendre la partition. Je suis sensible aux écritures dont la charge semble organique. Où l’écriture est en mouvement physique et non raisonné. Même si j’adhère au réalisme poétique ou enchanté, néanmoins je creuse le sillon d’une écriture qui s’emballe, se cherche, se cogne.
Écrire se pense avec le corps, avec la fragilité du corps, et le déséquilibre permanent des tensions émotionnelles et rationalistes.
Oui, j’écris pour le théâtre pour ne faire que des tentatives. Que vais-je faire dans ma tentative d’expliquer le monde ? Ecrire n’est qu’une tentative pour aller vers l’autre. Mais je serais bien incapable de donner toutes les réponses que l’on espère de mes tentatives.
L’acte d’écrire est lent pour moi. La lenteur c’est aussi la beauté. J’écris pour une poétique du plateau. Je ne veux pas faire un théâtre moraliste, car je ne veux pas instruire les gens, ni même les convaincre, ou les rendre meilleurs.
Le théâtre est la voix des paumés, des morts, des chants oubliés. Il fait un bruit de chiotte et d’amour. Il est ce mouvement de résignation et de révolte qui d’un coup d’aiguille pique la surface des choses. La permanence, la tentative du dire. Il expulse les vieux démons. Miroir des vivants. Le théâtre trouve son assise dans le temps indéfini. J’espère atteindre tout cela quand je pense une pièce, une tentative de pièce.
Écrire, c’est trouer notre vanité. Trouer notre mémoire, trouer l’impossible, trouer le silence.
Et quand j’ai fini je me dis que quelque chose de mort est né…
Mise en ligne 11/06/12
Liste des spectacles créés, représentés et accueillis en Belgique francophone auxquels l'artiste a participé.