Un soliloque, une phrase de quinze pages mouvementée, fragmentée, rebondissante ou languissante, un discours philosophique, jouissif, dépressif, rimbaldien, un délire imaginé en 2006 par Eric Durnez ébloui par l’au-delà de son jardin gascon.
Vite, cependant, un brouillard givrant recouvre les mamelons orangés du Gers qu’il croit apercevoir. Grisaille et limpidité se succèdent en son esprit. Accents de vérité quant au départ de Belgique et aux désillusions qui ont suivi. […]
L’envie est grande de continuer à écrire ce texte, à le lire, à le dire et à l’écouter tant la musique couchée sous les mots d’Eric Durnez nous entraîne. Ecriture à deux tonalités, parfois baroque au sein de laquelle se succèdent les images, crues si nécessaire, enchevêtrées dans un entrelacs d’observations pleines du (non-)sens de la vie, puis soudain, une limpidité venue dire l’essentiel et l’humanité de cet auteur singulier. […]
Pour porter ce texte à la scène, pour le transmettre, le partager, lui donner vie, qui d’autre que Thierry Hellin, au sommet ici de son talent ? Ces deux-là, décidément, sont faits pour se rencontrer, se compléter, se continuer.
Bâti comme un roc au cœur tendre, barbu, hirsute, vêtu d’un pull lâche, assis du haut de son tabouret, calme et puissant, Thierry Hellin, de sa voix grave et chaleureuse, avec un naturel savamment étudié, un semblant de détachement puis une incarnation complète du personnage, parle au nom de l’auteur sous la direction de Giuseppe Lonobile.[…]
Laurence Berteels © La Libre Belgique 25.02.2010

Un homme à un pupitre, perché sur son tabouret, une liasse de feuilles : un texte vertigineux, une seule phrase de quinze pages, un tourbillon drôle et âpre, cynique et bouleversant, intensément musical et jazzique. À l’écriture caractéristique d’Éric Durnez, Thierry Hellin offre sa voix grave, un peu voilée, de ce regard doux qui ne vous lâche pas, avec une complicité, une générosité, une puissance tranquille.
Ce superbe comédien, interprète de longue date de Durnez, est ici mis en scène par Giuseppe Lonobile dans une intelligence architecturée et sous l’apparence sobre de ce spectacle, se révèle une réelle performance : incarner ce texte monstrueux où tout s’enchevêtre à tout, en gardant la distance de l’écriture, du lecteur, et articuler ses rouages, le construire en arche avec un pic d’intensité, presque une transe qui vous cloue au fauteuil. […]
Le tout se greffe sur la décision de cet homme de quitter son pays (la Belgique…), sa maison, ses enfants, pour un ailleurs (le Gers), « loin de la ville dissonante, me dégager, me fuir, dans une tentative, peut-être la dernière, de naître… ».
Toujours sur le fil d’une introspectionqui puise autant dans le concret, le cru que dans une limpidité poétique gorgéede vie, ce soliloque a l’art d’ouvrir des brèches en chacun de nous, de soulevernos propres (dés)illusions et refuges. Le signe d’une grande œuvre,magistralement interprétée.
Michèle Friche © Le Soir 27.02.2010

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