Copies reprise + tournée

 

 

auteur caryl churchill
MISE EN SCENE adrian brine
 
   

THEATRE SIMPLE, SENSATION FORTE

Adrian Brine met au placard le côté "mode" du clonage pour doter la pièce de Caryl Churchill de la sobriété - et du duo ! - qu'elle mérite. "Copies", au Rideau


La relation père-fils, sujet intarissable de tous les arts. Le clonage, sujet de société et de rentrée littéraire, dans l'air du temps. Or la nouvelle création du Rideau de Bruxelles, qui pourtant embrasse tout cela, évite finement les effets, qu'ils soient de mode ou de vieille rengaine. Le texte acéré de la Britannique Caryl Churchill y est pour beaucoup, qui mêle le suspense des révélations en cascade à la profondeur des questions que petit à petit elles suscitent, au fil d'un dialogue à la spontanéité taillée au scalpel, tout en ruptures et en fluidité. La mise en scène d'Adrian Brine, d'une sobriété exemplaire, repose à raison sur le très beau duo que forment Jules-Henri Marchant et Sébastien Dutrieux - deux générations d'acteurs, distinctes et complémentaires, que lie un subtil «air de famille».

MONTAGNES ET PRECIPICES

Dans la locution «père et fils» il faut entendre ici fils au pluriel. Car le père, croyant autrefois agir pour le mieux - pour lui, pour la science - a fait cloner son petit garçon si parfait. Mais un vieux savant sans scrupule a poussé plus loin l'expérience et multiplié les exemplaires. Et les voilà, le père et le fils, toujours unique bien que désormais multiple. En déroulant l'ordinaire de leur vie, de leur relation banale et toujours singulière, du bilan qu'ils en tirent une fois la révélation faite, «Copies» soulève des montagnes et creuse des précipices vertigineux: le père, cette décision bizarre, un peu monstrueuse, mais qu'il croyait la meilleure, et comment il s'est comporté, malgré et avec ça, dans son rôle de parent; le chemin du/des fils, les méandres de l'identité qui brusquement s'abolit ou s'affirme. «J'ai été bon. - Je ne peux pas t'honorer pour ça si je ne t'en veux pas pour le reste.»

Visuellement, le miroir, accessoire très usité au théâtre ces temps-ci, semblait une évidence. Or la scénographie de Marcos Vinals Bassols - dépouillée et compacte - lui confère une grande justesse, bien au-delà de l'artifice facile. Sous les lumières distillées par Marcel Derwael, deux fauteuils suffisent à compléter le tableau. La rotation du père sur le sien, durant les intermèdes, souligne adroitement le désarroi, les interrogations, le cycle implacable entamé par amour mais désormais hors de portée de sa volonté. Jusqu'à le voir figé par un aveu de bonheur. Placide, possible. Permis ? peut-être...

L'heure que dure «Copies» passe en un éclair et nous laisse dans la joie d'un théâtre pur, incisif, autant que dans le trouble d'un sujet porté loin, avec habileté et générosité, humour et humilité.

Marie Baudet © La Libre Belgique 29/10/2005
top

 

JE NE SUIS PAS UN NUMERO

Agité, perturbé, ne parvenant à terminer aucune de ses phrases, le jeune homme interroge son père. Il vient d'apprendre une étrange nouvelle : il n'est pas seul au monde. Ou plus exactement, il existe... en plusieurs exemplaires. Tous pareils, si l'on en croit les scientifiques qui ont procédé à la manipulation génétique. Alors, le jeune homme interroge son père. Il s'inquiète puis s'enthousiasme. Ce serait peut-être amusant, après tout, de rencontrer tous ces autres lui-même...

Abordant le thème du clonage humain, "Copies", de Caryl Churchill, évacue toute discussion scientifique. A travers un dialogue père-fils en plusieurs épisodes, il évoque par contre les questions que se posent ces enfants mulitipliés à leur insu. Angoisse de l'un qui apprend qu'il n'est ni le seul ni même "l'original". Haine de l'autre qui fut rejeté enfant car il ne correspondait plus à l'image que son père s'en faisait. Un père tout puissant qui minimise, argumente, ne s'émeut jamais. Un père qui, face au désarroi de ses enfants clonés, ne songe qu'à faire appel à des avocats. On lui a caché la multiplication de ses fils. Il entend donc se faire dédommager.

Un père qui résiste "assez bien" à la mort de son fils aimé. Et tout aussi bien à celle de son fils abandonné. Pour lui, le plus déstabilisant sera finalement la rencontre avec un "troisième exemplaire" sur lequel il n'a aucune prise.

Très subtilement, dans une construction croisée où les événements tragiques se passent hors-champ, Caryl Churchill évoque les angoisses du clone ordinaire. Mais, loin des clichés habituels, elle rejette l'idée de prédestination. Elle rappelle que le clone aussi est un être humain. Et que chacun, même copié, reste unique. Je ne suis pas un numéro, clament à leur manière les trois figures du fils.

Caryl Churchill montre aussi (surtout ?) la soif de toute-puissance de ce père qui jette un fils "décevant" pour un remodeler un autre à l'image qu'il s'est forgée. Dans la très sobre mise en scène d'Adrian Brine, le dispositif de miroirs ne démultiplie d'ailleurs jamais l'image du fils. Il renvoie par contre régulièrement la figure du père sous toutes ses facettes.

Jules-Henri Marchant, formidable, est ce père autodéifié, effrayant de froideur et de logique. Face à lui, Sébastien Dutrieux incarne les différents "exemplaires" du fils en donnant à chacun d'eux une vraie personnalité. A tel point qu'au moment des saluts, plusieurs spectacteurs réalisent enfin qu'il est seul à camper les trois rôles. Du grand art au service d'une réflexion dont la séquence finale, inattendue, démontre toute la complexité.

Jean-Marie Wynants © Le Soir 4/11/2005

top

 

UNE AUTRE PIECE ANGLAISE, A VOIR, CETTE FOIS AU RIDEAU DE BRUXELLES, AU TITRE SIMPLE "COPIES" AVEC S.

Et ce S, signe de pluriel a une importance dramatique plus qu'orthographique. Car ces copies ce sont des êtres humains clonés par un père apprenti-sorcier. Au départ, comme un Pygmalion, déçu par sa première œuvre, ici, son propre fils, le père confie à un savant le soin de lui confectionner un fils plus proche de son idéal. On est à la fois dans la science-fiction et dans une réalité pas tellement éloignée. Car le méchant docteur, outrepassant la commande initiale, multiplie les exemplaires du fils, nous faisant tomber dans le vertige de la reproduction artificielle des êtres humains. La réussite vient d'abord du texte de l'Anglaise Caryl Churchill, clair, elliptique, d'une froide cruauté, qui va à l'essentiel en une heure, c'est le spectacle le plus court de l'année. Le père d'un cynisme effrayant s'inquiète moins de la multiplication de ses fils que du dédommagement matériel que lui doit le docteur qui l'a roulé. Les diverses incarnations des fils, le vrai, mal aimé, le faux, désiré, les copies non commandées sont magistralement interprétées par un Sébastien Dutrieux, dont le jeu bonifie et s'affine avec l'âge. Face à lui, le père indigne, c'est le merveilleux Jules-Henri Marchant, incarnation perverse de la logique matérialiste. Ce carrousel infernal, multiplié par la scénographie en miroirs tournoyants de Marcos Viñals Bassols, est réglé avec une précision mathématique par le grand Adrian Brine, qui nous plonge dans le gouffre vertigineux des relations père-fils, amplifié par une science pervertie. Du tout grand théâtre, essentiel.

Christian Jade © RTBF Journal parlé lundi 7 novembre 2005

top

 

FACE-À-FACES(S)

Frisson mémorable au Rideau de Bruxelles sur le sujet du clonage humain, avec Copies, de Caryl Churchill, en création française et mise en scène par Adrian Brine.

Une heure fulgurante, acérée, qui vous happe et vous plante là, sans le (ré)confort d'une solution, mais avec une cascade d'interrogations… et l'évidence d'une interprétation éblouissante : Jules-Henri Marchant et Sébastien Dutrieux, soit le père et son (ses) fils. Le premier a fait cloner le second pour des raisons aussi affectives que cyniques, et un savant fou en a sorti une vingtaine de copies.
A Number, titre original de la pièce (2002) de Caryl Churchill (une dramaturge anglaise féconde et fascinante née en 1938), s'articule sur la confrontation, réelle ou fantasmée, de ces êtres. Ni dissertation scientifique, ni étalage psychologique, le scalpel de l'auteur détoure et creuse les questions d'identité, de paternité, de responsabilité, de dignité, de bonheur… La spirale est vertigineuse, hors du temps et de l'espace, elle met à mal les certitudes et ne juge pas. Le dialogue file en ping-pong haché et en tuilage de brèves répliques suspendues, inattendues. Pépites d'humour, de cruauté et d'émotion en un rythme fou qui reprend son souffle sur les entre-scènes sonorisées, méditatives, un tempo impulsé par Adrian Brine. Sa mise en scène effilée dénude la pièce de tout contexte, la focalise sur le face-à-face des acteurs entre deux miroirs pivotants qui fractionnent et multiplient (un décor fort, lui-même acteur, par Marcos Viñals Bassols).
Jules-Henri Marchant navigue en eaux troubles, madré, déboussolé, avec une juste distance un peu ironique, tandis que Sébastien Dutrieux impose une palette de jeu multiple et d'une rigueur impressionnante dans trois silhouettes opposées : une performance mais, surtout, une voix, une présence neuve, aussi puissante que nuancée. Une révélation à l'aune de ce formidable Copies.

Michèle Friche © Le Vif/L'Express 10/11/2005
top

 

COPIES

Strong French-language version of Caryl Churchill's play about identity.


Do our genes make us the people we are ? How much do we owe to our parents and how much to some shapeless genius that we cannot clearly identify ? Is it fair to blame our inadequacies on our parents ? What happens if our children disappoint us, either by fulfilling or failing to fulfil our ambitions for them ?

Caryl Churchill's Copies is a one-hour play with enormous intellectual ambitions. It discusses the theme of cloning through two actors playing a father and a series of cloned children, dissects the nature of love, parenthood and identity, with the debate over nature versus nurture at its centre.

I was lucky enough to see the play when it premiered in London in 2002 as A Number with Daniel Craig and Michael Gambon. Like all Churchill's work, it combined searching social commentary with pointed insight into the human heart. In its first French outing at Le Rideau, Copies does not just stand its ground; in some respects it betters the Royal Court version.

Copies dissects the perplexity of families and also our aching, consumerist desire for perfection, which extends to the most intimate human relationships. Churchill's genius is to cloak this exploration in casual language that mirrors the banal direction of everyday life while still producing a dark thriller that suggests tantalising terrors and family secrets. The audience is kept searching for the truth, but the crimes, when they surface, are oddly both horrifying and satifsfyingly logical.

Adrian Brine's direction is faultless. He builds the father into a loathsome malign figure, seething with Beckettian immobility and intensity; a perfect canvas for Jules-Henri Marchant, who manages an edgy combination of avuncular good nature and withered malice. The series of sons are lovingly played by Sébastien Dutrieux, who explores the potential of identical/dissimilar clones with elegance. Brine makes intelligent use of the stage by narrowing the action down to two chairs and two mirrors, creating a simultaneously energising and suffocating effect. An excellent soundtrack and the usual exquisite scenography make for intimate and visually powerful theatre.


Andrew McLlroy © The Bulletin 24/11/05

top
RADIO ANTIPODE

Avec peu d'ingrédients, mais de grande qualité, le Rideau de Bruxelles présente un spectacle dont on se délecte comme d'un plat rare : " Copies ".

Au menu, deux acteurs, deux fauteuils, des miroirs et un texte coupé au scalpel. Pendant une heure, on est "scotché" aux lèvres de Jules-Henri Marchant et de Sébastien Dutrieux. L'un joue un veuf , qui a élevé seul son fils. L'autre joue ce fils, original et copies à a fois. Quand on est un mauvais père et qu'on abandonne son enfant, on peut difficilement faire marche arrière. Mais ici, le père a l'idée complètement folle de faire cloner son fils et de s'accorder une nouvelle chance.
Voilà pour les prémisses de cette fable moderne. Mais le mensonge du père ne peut durer éternellement. Le fils cloné apprend la nouvelle par hasard et est horrifié. D'autant plus que ce n'est pas un mais des dizaines de clones que le docteur a créés à l'insu de tous. S'ensuivent des règlements de comptes entre père et fils cloné et la vérité qui apparaît petit à petit. Lorsque le fils original réapparaît, c'est tout qui s'écroule.

L'auteure, Caryl Churchill, a écrit un texte où se mêlent les questions sur l'éthique, l'identité, le sens de la vie, tout ça avec un génie déconcertant. Car il n'y a aucune lourdeur, aucune prise de tête pseudo-intellectuelle, aucun jugement ou préjugé. Au lieu de ça, il y a même de l'humour, de l'ironie, de la tendresse, de la détresse et même une petite pointe de bonheur. La mise en scène et le décor sont simples mais grandioses : les miroirs s'imposent comme une évidence. Quant aux acteurs, ils sont exceptionnels. Un spectacle à ne pas manquer.

Paul-Etienne Cantinaux © Radio Antipode

top