l'éternel silence du père
Entre science et passions humaines, Thierry Debroux explore nos angoisses avec brio, humour et sensibilité.
Et si le fait d'être plongé dans le coma nous permettait de pénétrer un état de conscience qui nous est généralement interdit ? Et si toute notre vie n'était qu'une incessante quête du père ? Et si Dieu existait vraiment ? Et s'il n'existait pas ? Et si les crottes de pigeon tombaient toujours sur les mêmes et au plus mauvais moment ? Et si ? Et si ? Et si ?
On sait qu'avec des si, certains mettraient Paris en bouteille. D'autres, plus aventureux, en font du théâtre. Thierry Debroux est de ceux-là et Darwin, sa nouvelle pièce, est un modèle du genre alliant intelligence du propos, humour des dialogues et intensité dramatique des personnages.
Les deux premiers sont dans le coma. Absents au monde, ils en ont en réalité une conscience bien plus aiguë que le commun des mortels et se lancent dans une vaste discussion sur la vie, la mort, la naissance de l'univers, le big bang, etc.
Pierre Laroche est formidable dans le rôle d'un vieux scientifique raisonneur et plein d'humour qui énerve copieusement son interlocuteur campé par un Marcel Delval plein de drôlerie qui assure par ailleurs une mise en scène subtile en parfait accord avec le sujet.
Au centre de leurs discussions, on trouve notamment la situation des trois filles du vieil homme dont ils observent les allées et venues comme les deux vieux du Muppet Show.
Trois soeurs en colère
Sally (Nade Dieu, toute en tension et colère rentrée)
a des ennuis avec le conseil pédagogique de son école qui remet en cause son cours de sciences sur le darwinisme et la théorie de l'évolution des espèces. Elle est aussi aux prises avec un mari plongé dans ses recherches scientifiques dont Etienne Minoungou habite pleinement toutes les contradictions . Sa soeur Lucy, apprentie comédienne et danseuse nue momentanée ne fait qu'amplifier les tensions sous les traits d'une explosive Anouchka Vingtier entre rupture et provoc'. Quant à Stephen, le collègue de Sally, il fait mine de prendre son parti mais s'avère petit à petit être un fondamentaliste de la plus belle eau campé avec toute l'ambiguïté voulue par Pierre Dherte.
Quand Suzan (Micheline Goethals, alliant brillamment élégance et émotion), la soeur aînée, débarque pour donner un coup de main, le tableau est complet.
Trois soeurs qui se déchirent comme chez Tchekhov, deux types dans le coma, un chercheur déboussolé par sa vie privée et un petit prof pétri de conviction vont aborder une foule de thèmes : science et religion, montée des fondamentalismes, mais aussi jalousies, rancoeurs, solitude, culpabilité. Tout y passe et personne n'est épargné.
Passant avec une aisance confondante du discours scientifique aux détails domestiques, Thierry Debroux brasse le tout avec brio et provoque une multitude de quiproquos aussi subtils qu'hilarants et ramenant souvent à la quête du père.
Jusqu'à la pirouette finale, en forme de clin d'oeil à la situation de l'auteur, deus ex machina du théâtre. L'avantage de Thierry Debroux, par rapport à Dieu, c'est qu'il existe vraiment. Et que chacune de ses créations est un petit miracle.
Jean-Marie Wynants © Le Soir 18/01/2007

conversation dans le coma
Thierry Debroux explore nos contradictions à la faveur d'une pièce à idées sur l'antagonisme entre créationnisme et darwinisme.
Remue-méninges.
On reste pantois devant l'abondance et la diversité des sources d'inspiration de notre plus prolixe auteur dramatique du moment.
"Darwin" est le seizième titre de Thierry Debroux que publie l'éditeur Lansman en dix ans de temps. La création vient d'en avoir lieu au Rideau de Bruxelles, dans une mise en scène efficace de Marcel Delval.
N'en déplaise au titre, il ne s'agit nullement d'une évocation biographique du célèbre naturaliste anglais, "inventeur" de la théorie de la sélection naturelle des espèces qui choqua l'Angleterre victorienne en faisant du singe l'ancêtre de l'homme - et non plus le couple édénique mis en scène par la Genèse. L'action se déroule dans l'Amérique d'aujourd'hui et dénonce la régression de la raison face au lobby créationniste dont le Président des Etats-Unis semble un ardent défenseur.
Cela commence comme une drolatique conversation dans le coma, entre deux "légumes" humains qui communiquent admirablement malgré la léthargie dans laquelle est plongée leur corps. Allongés dans des transats blancs, sur fond de soupe d'étoiles (belle scénographie de Jean-Marie Fiévez), Marcel Delval et Pierre Laroche incarnent à la perfection ces Bouvard et Pécuchet des limbes, observant les mortels et devisant très philosophiquement de leurs travers et contradictions.
Sur le bon vieux plancher des vaches, c'est moins simple. Sally (Nade Dieu) a mis zéro à un élève qui avait refusé de faire son devoir de bio au motif que sa religion démentait les "spéculations" de Darwin. Son jules, Anton (Etienne Minoungou), explore mathématiquement les "coïncidences" d'un univers probabiliste, quand il ne couche pas avec Lucy (Anouchka Vingtier), soeur de Sally.
Cette dernière est sommée par les autorités pédagogiques d'enseigner le darwinisme comme une théorie parmi d'autres, notamment celle d'un "projet intelligent" à la base de l'univers et de l'espèce humaine. Survient alors Stephen, collègue apparemment compatissant de Sally. Pierre Dherte fait une amusante composition dans le rôle de cet agent double aussi insinuant que malveillant sous ses apparences débonnaires...
Manichéisme
L'auteur poursuit beaucoup de lièvres à la fois : les rapports entre science, religion et pouvoir, le fondamentalisme religieux, la causalité et le principe d'incertitude en physique, le déterminisme en biologie, l'articulation entre l'amour et le sexe, l'immortalité de l'âme, etc. Les métaphores de vulgarisation sont pour la plupart heureuses et parlantes, mais l'entassement de concepts explose quand même les neurones du spectateur.
Sur le plan du débat d'idées, la pièce nous enferme dans une alternative manichéenne où le Bien prend l'allure du rationalisme matérialiste et le Mal celui de l'intégrisme religieux. C'est malcommode et un peu court. L'intrigue sentimentale et familiale en contrepoint paraît quelque peu artificielle, comme plaquée sur la discussion philosophique pour en mieux "faire passer" l'aride substance.
A entendre les applaudissements le soir de la première, c'est sans doute réussi. Pour notre part, mis à part le démarrage et le finale, et en dépit de la qualité des interprètes, nous sommes restés en rade pendant la meilleure partie de cette heure quarante de représentation.
Philip Tirard © La Libre Belgique 18/01/2007

DARWIN CONTRE DIEU : une comédie familiale
Un spectacle joyeusement polémique pour un débat corsé
Du théâtre d'idées en toute légèreté, c'est "Darwin", la dernière pièce du Bruxellois Thierry Debroux créée au Rideau de Bruxelles. L'auteur utilise une comédie familiale pour pointer le débat
larvé qui sévit surtout aux Etats-Unis, entre les partisans du big-bang (scientifique) et ceux de Dieu (créationniste). Le débat corsé, parfois dispersé est resserré dans une mise en scène dynamique de Marcel Delval.
Aujourd'hui aux States, la polémique fait rage. L'enjeu se focalise sur les cours de biologie où s'enseigne l'évolutionnisme, la théorie scientifique de Darwin, selon laquelle l'homme descend du singe. A l'opposé, pour les créationnistes, la création est le fait de Dieu qui la continue. Evolutionnnisme contre créationnisme, le débat a plus de cent ans. En Amérique, il nourrit des procès, parfois médiatiques, avec intervention du politique, Georges Bush himself, en faveur des thèses religieuses.
Pas évident de théâtraliser la polémique ! Pourtant Thierry Debroux réussit son coup avec un style à lui, léger et rigoureux où la réalité se mêle au fantastique avec une écriture rythmée où les répliques fusent du tac au tac.
Sur scène, nous rentrons dans le vif du sujet. Dans un appartement ultra-design, en mur de fond, une matière mouvante, donne le "la" d'une atmosphère de chaos, signée Julien Loth soutenue par la musique de Raymond Delepierre. En mezzanine, deux vieux allongés sur des transats discutent du 'commencement". "Une fluctuation du vide" explique le plus bavard nommé 413 (Pierre Laroche) au plus sceptique 412 (Marcel Delval)... C'est le côté fantastique : nos deux hommes vibrent de mots mais dorment d'un coma profond.
Spéculations
Ils sont dans l'appartement du plus bavard, un biologiste amoureux de Darwin jusqu'à en oublier ses trois filles qui, à l'avant-scène, dans un salon moderne, semblent prises dans les tourments de la vie. La forte Sally (Nade Dieu), fille préférée de 413, est mal barre. Professeur de biologie, elle vient de flanquer un zéro à un de ses étudiants pour lui avoir refusé un travail sur Darwin. A bout de nerfs elle fait face à des pressions pour édulcorer "Darwin" de son cours, évacuer ses "spéculations". Son mari Anton (Etienne Minoungou), un physicien sans le sou, planche de son côté sur le phénomène des "coïncidences". La fragie Lucy (Anouchka Vingtier), soeur cadette, joue la provoc, pique le temps d'un coup fatidique le mari de sa soeur. Enfin, la soeur aînée, la fuyante Suzan (Micheline Goethals) qui a trouvé la sérénité loin de la maison, revient en avocate pour soutenir Sally.
Entre les deux légumes pensants et les allées et venues du salon, le spectacle joue donc d'un subterfuge efficace. On passe avec aisance du haut en bas, entre les deux hommes et leurs discussions plus théoriques, et le salon, pour une mise en situation de la polémique.
Toutefois, dans ce portrait de famille qui possède son propre dénouement, la polémique qui nous concerne prend peu de place. Ainsi, on regrette que le 'dessein intelligent" n'ait pas plus de répondant. Il finit par surgir avec un personnage, Stephen (Pierre Dherte), le collègue de Sally qui joue les maîtres chanteurs... C'est un peu court, tout comme le cas de Sally censée porter la polémique. Bref, la collision des idées se perd au profit d'un aller simple pour "Darwin". Du débat d'idées, on finit par atterrir dans une banale querelle de famille avec pirouette finale.
Le public rassemblant jeunes et vieux a réservé un accueil chaleureux à un spectacle bien ficelé.
Nurten Aka © La Capitale 20/01/2007

Querelles et soliloques
Dans Darwin, Thierry Debroux oppose darwinisme et créationnisme. Une pièce plutôt fastidieuse, malgré les pointes d’humour que l’auteur y a volontiers glissées.
Le prolifique Thierry Debroux s’est plusieurs fois penché sur la vie de personnes célèbres pour y puiser matière à raconter ses fables, mélange entre mises en situation fictionnelles et informations/citations véridiques. Le tout dans une langue articulée avec élégance et ponctuée de mots d’esprit à l’humour souvent judicieux.
Avec Darwin, l’auteur semble avoir voulu aller plus loin, tout en gardant cette idée de mêler vérité historique et fictions théâtrales. Debroux part de l‘histoire de Sally, prof de bio d’un patelin des Etats-Unis, confrontée à des fondamentalistes qui rejettent la théorie de l’évolution au profit d’une volonté divine de la création. Mais l’intrigue s’emberlificote entre considérations philosophico-scientifiques et l’histoire de famille de Sally, avec son compagnon, Anton, mathématicien, sa sœur Lucy, amante d’un soir d’Anton (et enceinte de lui), et sa grande sœur Suzan, avocate, débarquant à l’improviste après plusieurs années de silence, pour l’aider sans sa lutte : continuer d’enseigner à ses élèves la rationnelle pensée de Darwin. Ajoutons à cela (le ressort le plus original du texte) un père (interprété par Pierre Laroche, petite perle caustique d’une distribution équilibrée, mais sans plus) dans le coma, qui se laisse aller à des soliloques sur l’univers et son existence, tout en observant son petit monde familial se quereller, se réconcilier… Voici les ingrédients d’une pièce qui abonde en réflexions en tous sens et en relations humaines plutôt factices, malgré une mise en scène de Marcel Delval qui fait tout ce qui est possible pour mettre du liant et de la vie dans ce texte somme toute bien fastidieux.
Olivier Hespel © Le Vif/L’Express 16/01/2007

Le cauchemar de Darwin ? Un rêve
Darwin, la nouvelle pièce très réussie de l’auteur belge Thierry Debroux, explore le mystère de la vie et plus précisément la question qui oppose actuellement les darwinistes aux créationnistes obscurantistes.
Voir une pièce de Thierry Debroux, c’est découvrir un texte intelligent, documenté, subtil et souvent drôle, la politesse d’un auteur délicat et doué. Sa nouvelle pièce ne fait pas exception aux heureuses expériences vécues depuis les années 90 avec entre autres Le livropathe, Crooner, Mademoiselle Frankenstein et tout récemment Le Roi Lune. Un jeune auteur belge (acteur et metteur en scène à ses heures) dont la prodigalité créatrice laisse admiratif…
Darwin lui donne l’occasion de creuser une question qui agite actuellement les Etats-Unis où quarante Etats ont déjà ouvert leur porte au créationnisme et où Georges Bush s’est déclaré favorable à l’enseignement de tous les courants de pensée.
La superbe scénographie d’une blancheur immaculée et clinique, alliant simplicité et esthétique, offre un écrin proprement « divin » aux acteurs. Deux hommes d’âge mûr à très mûr (formidable Pierre Laroche, accompagné du metteur en scène Marcel Delval), vêtus de blanc et assis sur deux chaises longues, devisent sur le darwinisme et sur la famille de l’un des deux que l’on voit s’agiter en contre-bas. Ils sont dans le coma et suivent ce qui se passe autour d’eux en véritable chœur antique dissertant et commentant les turpitudes de la vie « d’en bas », celle des êtres qui se croient vivants mais oublient parfois de lever le nez de leur guidon : les trois filles d’un des comateux (Nade Dieu, Anouchka Vingtier et Micheline Goethals), le mari de l’une d’elle (Etienne Minoungou) et un collègue (Pierre Dherte).
Discuter de l’évolution donne ainsi à l’auteur l’occasion de parler de l’impérieuse nécessité de tuer le père, de ce besoin congénital de trouver sa place. Mêler l’intime à l’universel pour entrouvrir l’espace du mystère.
Martine Versonne © Le Journal du Médecin 02/02/2007

La vérité est en nous depuis toujours
Entre filiation et procréation, big-bang et créationnisme, « Darwin », la nouvelle pièce du Belge Thierry Debroux, dévide le mystérieux fil de tout ce qui se vit. Avec l’humour pour garde-fou.
Une petite ville tranquille des Etats-Unis. Sally, professeur de biologie, colle un zéro à un de ses étudiants qui lui refuse un travail sur le naturaliste Charles Darwin. Paresse ou idéologie ? Cette sanction ne restera pas sans conséquences, puisque Sally deviendra la cible de nombreuses pressions qui risquent d’ébranler sa carrière. Forte de ses convictions scientifiques – elle est la fille d’un éminent biologiste dans le coma depuis peu -, la voilà soutenue par quelques-uns et mise en doute par beaucoup d’autres qui pourraient bien se servir de cette affaire pour déclencher un procès retentissant !
La question des origines
L’auteur du fantastique « Livropathe » aborde avec beaucoup d’esprit la grande question des origines de l’existence. Sa nouvelle pièce fait effectivement écho à un débat qui fait rage aujourd’hui dans les milieux scientifiques : son héroïne est confrontée à ceux qui, pensant que la complexité du monde ne peut résulter des seuls mécanismes naturels, remettent en cause les théories de Darwin sur l’évolution des espèces. Un sujet fascinant que Thierry Debroux, auteur apprécié par le public, livre avec légèreté, alors que ses personnages formidablement attachants sont aux prises avec les hasards et les mystères de la vie. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Dieu a-t-il joué aux dés ? La création relève-t-elle d’un dessein supérieur ou du hasard ?
‘Il ne s’agit pas, comme pourrait le faire croire le titre, d’une pièce retraçant la vie du grand naturaliste anglais », explique l’auteur. « Les procès qui ont eu lieu, notamment en Pennsylvanie, autour de la question passionnante de l’Evolution ont provoqué mon imaginaire, la confiance de Jules-Henri Marchant (directeur du théâtre Le Rideau, ndlr) a fait le reste. Aucune de nos conversations, depuis plus de dix ans, ne s’est jamais achevée sans que nous n’abordions le thème des origines de l’Univers. Son enthousiasme a contribué largement à l’écriture de cette pièce. La référence à George Bush et à certains mouvements fondamentalistes protestants dont le président américain se revendique me permet d’attirer l’attention sur le fait qu’il faut lutter avec force contre une vision simpliste et manichéenne du monde. »
Aux confins du mystère
En fait, l’œuvre de Thierry Debroux touche sans cesse aux confins du mystère. L’auteur y explore sans tabou, avec probité, limpidité et humour, les territoires de l’ambiguïté entre liberté et manipulation, génie et folie, désir et refoulement. « L’homme du XXIe siècle est tiraillé entre le désir de tout expliquer par la Raison et le besoin de Mystère », explique-t-il. « Dans l’état actuel des connaissances, rien n’est venu confirmer qu’une Intention puisse être à l’origine de l’univers et de la vie. Tout semble montrer au contraire que l’homme est une étape dans l’évolution et non le résultat d’un projet. L’homme aspire cependant à pouvoir donner du sens à sa vie et l’idée de hasard lui est insupportable. Il appelle Dieu ce qui le dépasse et tente d’en imposer l’idée à ses semblables. Le besoin de justifier est toujours un grand aveu de faiblesse. Nous cherchons désespérément une justification en-dehors de nous-mêmes alors que la vérité est en nous depuis toujours. » Un point de vue que l’on n’est pas obligé de partager, mais qui mérite toutefois d’être entendu.
Pascal André © Dimanche Express 04/02/2007

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