OCCUPE-TOI DE FEYDEAU

création

en langue française

 

 

auteur David Lewis
MISE EN SCENE Adrian Brine
 
   

chérie, il y a un auteur sous la commode

Feydeau cuisiné à sa propre sauce. L'auteur est le héros d'un vaudeville qui met habilement le genre en abyme.


Semblable perfidie ne pouvait sans doute venir que d'Angleterre : Georges Feydeau, roi incontesté du vaudeville, est soumis par David Lewis à subir son propre traitement. L'auteur français est le héros secoué d'une comédie où les portes claquent et les quiproquos s'amoncellent, au Rideau de Bruxelles. Il tente vaille que vaille d'écrire quelques lignes, mais la tornade de visites inopportunes et de rencontres malencontreuses l'empêchent de tenir sa plume plus de trois secondes. Peu importe : on y gagne une soirée délirante, où l'abattage des comédiens se double d'une vertigineuse mise en abyme du genre.

L'oeuvre de Feydeau est régulièrement revisitée. On a vu courir le réjouissant Dindon en slip léopard avec le jeune metteur en scène Thibaut Nève. On a vu l'enchanteur et contemporain Fil à la patte avec Frédéric Dussenne. On a vu la tradition efficace aux Galeries. Mais jamais personne n'avait osé défier l'auteur sur son propre terrain : l'écriture.

L'Anglais David Lewis s'en sort avec panache. Pour sa première création en langue française, l'ironie veut qu'Occupe-toi de Feydeau soit mis en scène par un de ses compatriotes. Adrian Brine, ce Londonien adopté depuis longtemps par nos scènes (lire ci-contre), trouve l'alliage pour son spectacle : subtilité et furie !

Tout commence dans un décor d'époque, à trois portes et papier peint coloré. L'excellent Pierre Derthe (Georges Feydeau) arbore fixe-chaussettes et moustaches en guidon de vélo, face à sa femme qui soupçonne son libertinage (c'est historique). Ce style début de siècle permet à Bernard Cogniaux, Isabelle Defossé, Sébastien Dutrieux, Michel Israël, Delphine Dessambre et Lara Hubinont de se frotter à une remarquable reconstitution du genre : le verbe galope, l'absurde culmine et le rythme est parfait.

La réalité rattrape la fiction

Mais méfiez-vous ! Les infidélités ne sont pas les seules à faire farine à ce moulin. Le deuxième degré est vite atteint, avec des commentaires des personnages sur leur propre comédie, pour ensuite accéder à une vertigineuse mise en abyme du théâtre au troisième acte. La réalité rattrape la fiction pour un retour aux temps présents dont on ne dévoilera pas le sel, sinon pour indiquer sa drôlerie et son intelligence.

Quand la salle se rallume, on sourit tous de s'être ainsi fait étourdir. « Après un truc aussi rigolo, on va bien dormir ! », dit une dame d'âge vénérable à sa copine. « S'il n'y a personne dans ton lit », lui répond-elle du tac au tac. L'esprit de Feydeau nous a mordus !

 

Le magicien Adrian Brine vous livre quelques secrets

Le théâtre ne connaît ni règles, ni formules, ni principes, mais remet tout en question. Il ne repose que sur des secrets », affirme Adrian Brine, acteur et metteur en scène britannique, compagnon de nos planches depuis quarante ans. On se doute que l'homme de théâtre, né en 1936, doit avoir bon nombre de secrets dans sa besace !

Il pourrait bien vous en dévoiler quelques-uns dans les semaines à venir. Au Théâtre National, le Prix Jacques Huisman lance des rencontres-débats avec des praticiens de la scène. Mardi prochain, Adrian Brine ouvrira le bal en racontant son incroyable parcours qui le mène à Londres, Istanbul, Bruxelles, Paris et Amsterdam.

Dix jours plus tard, le bonhomme remettra le couvert au Rideau de Bruxelles, en compagnie de David Lewis, l'auteur d'Occupe-toi de Feydeau.

Une soirée very british pour explorer les ressorts d'un auteur français ? Ce saut par-dessus les frontières est une spécialité de Brine : en chemin inverse, on ne compte plus les auteurs anglais contemporains qu'il a révélés au public francophone. Il doit avoir un truc.

Rencontre avec Adrian Brine le mardi 28 novembre à 18h30, au Théâtre National, à Bruxelles.

Adrian Brine au Rideau de Bruxelles, avec l'auteur David Lewis et le scénographe Marcos Vinals Bassols, le 7 décembre à 18h45.

 

Laurent Ancion © Le Soir 24/11/2006
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feydeau à la sauce anglaise

Etrange, brillant et hilarant objet que ce "Occupe-toi de Feydeau" de l'Anglais David Lewis monté par Adrian Brine au Rideau de Bruxelles. Trop drôle, isn't it ?

Il fallait encore que les Anglais viennent nous expliquer Feydeau ! Contemporain d'Oscar Wilde, il en a la lucidité et l'esprit, mais point la compassion et moins encore l'humanisme. Ses farces sont sans rémission, la vie est chez lui définitivement une vaste pantalonnade de singes policés et polissons. Londonien d'origine galloise, le dramaturge David Lewis s'est intéressé au maître français du comique boulevardier un peu par hasard, à cause de son metteur en scène attitré au Théâtre de l'Orange Tree en Angleterre, Sam Walters. Seul trait commun, explique-t-il : "Mes pièces contenaient souvent des éléments de farce et, tout comme lui, j'ai souvent développé le thème de la guerre et de l'amour entre homme et femme. Mais je n'ai pas pu résister à l'envie de relever le défi d'écrire une pièce à son sujet et dans son style..."

Défi relevé haut la main et qui lui vaut la première création d'une de ses pièces en langue française, dans la mise en scène d'un... Anglais, en la personne d'Adrian Brine. Comme naguère avec "Silence en coulisses" de Michael Frayn ou "Voyages avec ma tante" d'après Graham Greene, il a réglé de main de maître ce vaudeville hautement allusif et référentiel.

Fidèle à son modèle, "Occupe-toi de Feydeau" se déroule en trois actes, avec l'inévitable deuxième dans une chambre d'hôtel où se rencontrent systématiquement tous ceux qui ne devraient surtout pas se croiser. Dans les deux premiers actes, le personnage central est Feydeau en personne, empêché de terminer l'écriture d'une pièce à cause de la jalousie de sa femme et de son meilleur ami, à laquelle s'ajoutent les fantasmes délirants d'un jeune collègue pédant et l'insistance incongrue d'un policier obsédé par le music-hall.

Entente cordiale

Il y faut évidemment des comédiens à la hauteur de la virtuosité du propos. Pierre Dherte est un Feydeau d'une délicieuse duplicité, trompant sa femme et son ami avec un naturel désarmant qui confine à la pureté de l'innocence. Isabelle Defossé a une classe folle dans le rôle de l'épouse outragée et soupçonneuse. Delphine Dessambre campe une femme légère à croquer et Lara Hubinont est une bonne d'anthologie.

Les messieurs ne sont pas en reste. Bernard Cogniaux s'avère irrésistible en amant transi de désir et de trouille. On retrouve avec plaisir Michel Israël en inspecteur de police qui se targue d'imiter à la perfection le cri des divers animaux de basse-cour. Quant à Sébastien Dutrieux, on lui découvre une présence comique, assortie de ce grain de folie qui hisse la drôlerie au niveau du grand art.

Cette comédie de haute volée bascule au troisième acte dans l'époque contemporaine, reconduisant tous les thèmes du début en une brillante variation et coda. Ce final ébouriffant offre de surcroît à chacun des acteurs l'occasion d'une métamorphose sidérante.

On sort de là les zygomatiques endoloris, stupéfié par le fruit magnifique d'une inattendue et inespérée entente cordiale entre cocasserie latine et nonsense britannique, entre esprit français et humour anglais.

 

À signaler que l'auteur David Lewis sera présent le jeudi 7 décembre pour une rencontre avec le public de 18h45 à 19h30, au Studio, en compagnie d'Adrian Brine et du scénographe Marcos Viñals Bassols. Entrée libre.

Philip Tirard © La Libre Belgique 25 -26/11/2006

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Couple, amant(e)s, placards et péripéties

Un trompe l’œil où le vaudeville se… regarde lui-même

 

Curiosité hybride au Rideau, le spectacle « Occupe-toi de Feydeau » nous bouscule de la Belle époque à aujourd’hui, prend appui sur la vie vaudevillesque de l’auteur français et réussit un exercice de style impeccable. La mise en scène d’Adrian Brine joue (trop) le jeu, généreux en tous points.

Décidément, on aura tout vu au théâtre ! En 2005 un auteur anglais d’origine galloise, David Lewis s’entiche un peu par hasard du maître incontesté du vaudeville, le Français Georges Feydeau (1862-1921). Il décide de relever un défi, « écrire, dit-il, une pièce à son sujet et dans son style ».
Sans faille, l’auteur anglais emprunte le style, trace un vaudeville sur Feydeau accumulant les références autobiographiques et littéraires.
Comme dans l’arroseur arrosé, Lewis propulse Feydeau dans une farce grivoise. Le tout bien évidement déroulé dans la mécanique infernale du genre : quiproquos en cascades, frénésie des personnages, péripéties saugrenues, amants, amantes, épouse virago, mari en caleçon, placards, portes qui claquent, billets doux dévoilés, et autres rendez-vous inopportuns. La partition se met en branle à la manière de Feydeau, « en trois actes et mouvement perpétuel », dont un acte en chambre d’hôtel, dans la garçonnière de l’auteur.

De la belle époque

Quand le rideau sur le premier acte s’ouvre, quelle n’est pas la surprise du spectateur de se retrouver « au théâtre ce soir », du classique ringard (sauf votre respect !). L’intérieur, le cabinet de Georges, prend les couleurs de Paris 1900 avec ses meubles et son papier peint de notaire poussiéreux. Entre la bonne Yvette (Lara Hubinont). Monsieur (Pierre Dherte) se réveille sur un canapé, Madame (Isabelle Defossé) est rentrée de chez sa tante.
Chacun est affairé. Tandis que Madame s’inquiète de son petit qui « n’a pas été » au pot, Monsieur tente péniblement de cacher une probable maîtresse (Delphine Dessambre), actrice débutante.
Dès les premières minutes est croqué le vaudeville, avec la maison bourgeoise parigote, de la bonne à la maîtresse planquée sous la table, de l’épouse « procureur » et du mari paniqué. Et tout s’enchaîne. Débarque l’ami médecin de famille (Bernard Cogniaux), amant de l’actrice, ainsi que le mari de cette dernière, Alphonse Habillot (Michel Israël), officier de police de son état, faiseur de cris d’animaux de toutes sortes, dont le talent n’a d’effet que sur la bonne. Rajoutez le jeune et tourmenté Levasseur (Sébastien Dutrieux), un écrivain engagé rival du grand Feydeau, et un singe dénommé De Sade.

Chassé-croisé

Entre les va-et-vient, Feydeau tente d’écrire une pièce, face à une actrice ambitieuse, une femme soupçonneuse, les amis, les maris, etc.
Les billets doux tombent dans les mauvaises mains et tous (au deuxième acte) atterrisent en chassé-croisé à l’hôtel Terminus… Ce n’est pas fini. Vous laissant la surprise, sachez que le troisième acte est déboussolant. Il se déroule au présent. On y croise une fille au pair, un psychiatre sous Prozac, une maîtresse sous coke, un couple sur la touche, un débat sur la farce… Le vaudeville, lui, comme une mécanique éternelle se poursuit tel une sitcom…
Sans conteste l’auteur David Lewis s’est magistralement occupé de Feydeau. La traduction française de John Thomas est époustouflante.
Ne boudons pas cette pièce faussement originale, dont les deux premiers actes dépendent du dernier.

Nurten Aka © La Capitale 28/11/2006


Les miroirs du vaudeville

Feydeau recomposé par… Feydeau, lui -même mis en pièce par le Britannique David Lewis et en scène par Adrian Brine : un hilarant Occupe-toi de Feydeau, au Rideau de Bruxelles

Nous entrons ici dans un vaudeville de pure souche, avec pantalon sur les chevilles, robes en vadrouille et portes qui claquent…
Certes, un Feydeau est de saison en décembre, et l’on vit ici un mémorable Fil à la Patte mâtiné d’Offenbach par Frédéric Dussenne. Mais on ne perd rien pour attendre. D’abord, ceci n’est pas du Feydeau, mais une pièce de David Lewis, qui prend l’auteur français à son propre piège : écrire… du Feydeau. Voilà donc à l’œuvre notre homme en chair et en os, entre femme, maîtresse, amis, rival et bonniche, authentiques créatures surgies de l’une et l’autre pièce (jeux de piste pour amateurs éclairés). Le burlesque se déploie à tout crin, mais aussi l’autopsie (dé)culottée du genre vaudeville, un premier acte à la maison, le deuxième à l’hôtel et le troisième de retour au logis… où tout bascule ! Feydeau est projeté au centre d’un second vertige théâtral… que nous tairons.
Cette orfèvrerie en double abyme est mise en scène dans un rythme diabolique par Adrian Brine. Very british, ce faux mais succulent Feydeau ! Sur le plateau, les comédiens belges sont virtuoses, corps et verbe en folie, mais avec classe et précision : Pierre Dherte (Feydeau, plus vrai que nature), Isabelle Defossé, Delphine Dessambre, Lara Hubinon, très attachantes, Bernard Cogniaux, Michel Israël et Sébastien Dutrieux (dont on ne connaissait pas encore l’art comique inouï), qui ourdissent des scènes d’anthologie !

Michèle Friche © Le Vif/L’Express 8-14/12/2006

 

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