Durée: 02:10

 

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L'HEURE VERTICALE

création en langue française

 

 

auteur DAVID HARE
MISE EN SCENE ADRIAN BRINE
 
   

conflits à TOUS LES étages

David Hare confronte le couple et la famille aux désordres planétaires. Adrian Brine organise la tension, distille l'humour et explore la profondeur.

Anobli en 1998, le dramaturge anglais David Hare a une manière toute britannique de provoquer l'establishment de son pays. Né en 1947, il dénonce avec constance les travers de la société contemporaine. Régulièrement créées au National Theatre, ses pièces au réalisme allusif portent sur le couple, le pouvoir, la corruption, généralement vus du point du vue du rapport de force entre les personnages.
Adrian Brine s'est fait le chroniqueur récurrent de son compatriote au Rideau de Bruxelles, y mettant notamment en scène "Skylight" ou "Mon lit en zinc". Son dernier opus, "L'Heure verticale", est sans doute le plus directement politique des textes vus par les spectateurs belges. Il parle abondamment de la guerre en Irak et de la responsabilité américaine dans les conséquences perverses du conflit - à telle enseigne que le National a eu peur de cette pièce dont la création a eu lieu... à New York.
L'action se passe pour l'essentiel en Angleterre, chez un médecin à la retraite (Jules-Henri Marchant) qui vit dans une maison de campagne isolée. Il y reçoit la visite de son fils (Sébastien Dutrieux) qui connaît une réussite matérielle spectaculaire comme kinésithérapeute aux Etats-Unis. Philippe est venu présenter à son père la femme de sa vie (Isabelle Defossé), correspondante de guerre promue spécialiste du terrorisme et professeur de sciences politiques à l'Université de Yale.

Un fascinant trio

Dans une belle scénographie à géométrie variable de Marcos Vinals Bassols, le trio confronte ses points de vue sur le monde, sur l'amour, la peur et le sentiment de culpabilité. Ce pourrait être un théâtre de conversation, mais cela tourne rapidement à un affrontement tendu et ironique où les moments d'abandon succèdent aux escarmouches virulentes. S'opposent, en vrac, les générations, les sexes, les idéologies, le Nouveau et le Vieux continents, l'être et le paraître, la séduction et l'amour vrai.
Sous l'oeil vigilant de Brine, les trois comédiens donnent une assez éblouissante démonstration des différents niveaux de réalité qu'explore le texte. La mélancolie incisive de Jules-Henri Marchant, la naïveté soupçonneuse de Sébastien Dutrieux, l'énergie vitale d'Isabelle Defossé se combinent en un cocktail fascinant.
Il y a des moments proprement tchékhoviens, d'autres dignes de Pinter et de Beckett, d'autres encore de David Mamet, preuve que David Hare a une voix bien à lui. En humaniste véritable, il évacue le moralisme et la sentimentalité, incluant la politique dans la palette des passions humaines prises entre raison et pulsions, lucidité et déterminismes. Et, suprême élégance, il laisse une place au mystère...

Philip Tirard © La Libre Belgique 14/03/2008

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Entre l'intime et l'universel

Mêlant toujours l’Histoire de l’humanité et l’histoire des individus, David Hare suscite le débat.


ENTRETIEN


Grand nom du théâtre britannique contemporain, David Hare était à Bruxelles en début de semaine pour assister à la création en français de sa pièce L’heure verticale, qui évoque notamment la question de l’intervention américaine en Irak. Rencontre avec un homme passionné par l’humanité.

Vous rentrez de Pologne où vous avez notamment visité le camp d’Auschwitz. Pourriez-vous écrire sur ce thème ?

Sûrement pas. Il y a des sujets où l’on ne peut rien ajouter à la réalité. Au musée de l’Holocauste, il est choquant de voir la pauvreté des propositions artistiques en regard des faits. C’est le genre de situation où se pose la question de savoir ce que fait l’artiste en s’interposant entre la réalité et l’humain. Il y a plus de mauvaises œuvres d’art sur l’Holocauste que sur n’importe quel autre sujet.

Votre travail s’ancre cependant toujours dans le réel.

Oui, c’est un peu comme proposer une paire de lunettes à travers lesquelles le public va regarder les choses. Il faut savoir se rendre invisible.

Qu’est-ce qui vous accroche dans un sujet ?
Je prendrai comme exemple une pièce que j’ai écrite sur la privatisation des chemins de fer britanniques. Quand on m’a proposé ce sujet, j’étais désespéré. Je n’avais rien à dire là-dessus. Mais le directeur de théâtre qui me le proposait m’a convaincu de faire un atelier sur le sujet. Après une semaine, une femme qui avait perdu son fils dans un accident de train privatisé s’est exprimée. J’ai alors compris à quel point les survivants étaient en désaccord avec les parents des morts. Les premiers voulaient oublier, s’éloigner de tout ça, tandis que cette femme voulait qu’il y ait enquête, recherches, punition. Soudain, je voyais surgir tout un débat autour de la notion de souffrance. Du coup, j’avais un thème pour ma pièce.
Quand elle a été jouée, un ami new-yorkais est venu. Il m’a dit ensuite, très ému, qu’il ne savait pas que j’avais écrit une pièce sur le sida. Il est gay et il avait vu dans cette question de la souffrance acceptable ou inacceptable, toutes les questions qui se sont posées aux parents des victimes du sida.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le thème de l’Irak ?

Des gens étaient favorables à l’intervention armée en Irak pour de bonnes raisons. Je me demandais comment ils se sentent aujourd’hui. C’est le cas de Nadia, la journaliste américaine qui enseigne la politique à Yale.
Oliver, le père de son fiancé, a dit non tout de suite. Comme moi. Peut-être de manière trop facile d’ailleurs. Les discussions sur ce sujet sont très complexes. Car il est vrai qu’on ne peut pas laisser pourrir l’idée d’intervention internationale à cause de ce qui s’est passé en Afghanistan et en Irak.
Dans les gens qui ont supporté la guerre, il y a deux camps aujourd’hui. Ceux qui croient toujours qu’il fallait y aller et qui constatent que ça a raté. Et ceux qui pensent désormais qu’on n’aurait pas dû y aller du tout.

Votre théâtre est toujours politique mais intime également…

L’heure verticale parle de plein de choses : un homme qui regarde sa vie, l’engagement, la guerre en Irak, l’amour, les relations familiales… C’est sur ce dernier point que je reçois d’ailleurs le plus grand nombre de réactions.
J’écris comme cela parce que c’est le genre de pièce que j’aime et parce que nous sommes tous des êtres moraux, familiaux, politiques, sexuels… Pourquoi ne pas parler de toutes nos facettes ?
Brecht a écrit de grandes pièces avec des héros formidables. Mais seuls ses personnages principaux sont forts. Il prend les personnages secondaires pour quelques scènes et puis il les jette. Moi, j'estime que tous les personnages ont une intégrité, que je veux respecter.


CRITIQUE

L'heure verticale révèle les doutes et les blessures

Dans un coin de campagne désert, à la limite de l’Angleterre et du Pays de Galles, Oliver reçoit son fils Philip, revenu des Etats-Unis avec sa compagne Nadia. Celle-ci, ancienne reporter de guerre, enseigne la politique à l’université de Yale. Elle était favorable à l’intervention américaine en Irak. Oliver y était farouchement opposé.
Sous le regard de Philip, le vieil homme et la jeune femme s’affrontent d’emblée. Pourtant, leur joute oratoire va les emmener bien loin de l’Irak…
Comme souvent chez David Hare, il vaut mieux ne pas trop en dire pour conserver le suspense. Bien sûr, on parle de la guerre en Irak mais aussi de l’engagement politique, des idéaux d’antan. Mais on parle aussi de famille, de lâcheté, du mal que l’on fait aux autres, de la véritable personne qui se cache (ou pas) tout au fond de nous…
Une nouvelle fois, Adrian Brine porte David Hare à la scène avec sobriété et efficacité. Dans un décor campagnard évocateur mais nullement réaliste, les trois personnages s’affrontent, se rapprochent, se déchirent, se révèlent.
Dans le rôle de Nadia, Isabelle Defossé force un peu sur l’énergie mais se montre bouleversante dans les moments de doute, de souffrance. A ses côtés, Sébastien Dutrieux joue avec une belle retenue les amoureux passionnés et les fils revanchards. Quant à Jules-Henri Marchant (Oliver), il est formidable de bout en bout, tant dans l’humour que dans l’émotion, la brusquerie ou la maladresse.
On soulignera enfin la très belle présence de Cédric Eeckhout et Aïssatou Diop, jouant chacun un étudiant de Nadia dans les deux courtes scènes qui ouvrent et ferment le spectacle.


Jean-Marie Wynants © Le soir 28/02/2008
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