Durée: 1:30

 

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T 02 507 83 61
LA MAISON DE LEMKIN

création en langue française
AU MARNI
rue de Vergnies 25 1050 BXL

 

auteur CATHERINE FILLOUX
MISE EN SCENE JULES-HENRI MARCHANT
 
   

Génocide, le pire et le meilleur

En Afrique, tout commence, s'explique et finit par les contes. Connaissez-vous l'histoire du colibri ? Soudain, un incendie ravage le village. Les éléphants, les rhinocéros, les phacochères s'encourent et franchissent le fleuve. Le colibri, quant à lui, prend une goutte d'eau du fleuve dans son bec et la dépose sur l'incendie. Il répète l'opération une dizaine de fois. Alors, les autres animaux se moquent de lui et lui demandent ce qu'il fait exactement. "Je fais ma part", répond tout simplement le colibri. Piqués au vif, les éléphants, les rhinocéros, les phacochères se sont mis à repousser l'eau du fleuve à leur tour et l'on raconte que l'incendie a été maîtrisé...
Burundaise arrivée en Belgique en 1998 avec ses quatre enfants, Marie-Louise Sibazuri sait ce que faire sa part veut dire. Dramaturge, elle vit deux mois sur trois en Belgique. Le troisième, elle part au Burundi ou en Tanzanie pour écrire des feuilletons radiophoniques qui racontent les massacres dont ces peuples ont été victimes. Au Burundi, plus de 750 épisodes ont déjà été diffusés. En Tanzanie, où les réfugiés d'un camp étaient demandeurs d'un feuilleton semblable à celui dont ils avaient entendu parler au Burundi, environ 300. Membre de l'ONG RCN Justice & Démocratie, la conteuse participe au programme éducatif que le Rideau organise auprès des rhétoriciens dans le cadre de "La Maison de Lemkin" actuellement à l'affiche du théâtre de Bruxelles (lire "La Libre" du 10 novembre). Inventeur du mot génocide (de la racine grecque "gene" - race - et du suffixe latin "cide" de caedere - tuer), Raphaël Lemkin, Juif polonais, s'est battu toute sa vie pour que ce "crime sans nom" soit condamné. Il devra attendre 1948 pour que la Convention soit adoptée par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies et 1988 pour que les Etats-Unis ratifient la loi.

RHÉTORICIENS

Américaine d'origine française, Catherine Filloux a écrit le combat de Lemkin et Jules-Henri Marchant, directeur du Rideau, a décidé de monter son combat à la scène. Les rhétoriciens ayant le vingtième siècle au menu de leur cours d'Histoire, le Rideau est parti à leur rencontre.
Programme en trois actes. Première séance en classe, une heure quarante durant, pour expliquer aux élèves ce que signifie le génocide, ce crime contre l'humanité visant à exterminer une race. L'exposé "Qu'est-ce qu'un génocide ? Comprendre les génocides par l'Histoire ?" leur explique, entre autres, comment a eu lieu le génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale en leur disant de quelle défaite - la Première Guerre mondiale -, de quelle frustration - le Traité de Versailles -, de quel antisémitisme séculaire, il est en partie né. Tout en plantant le contexte économique et social de l'époque. Vient ensuite la description des faits, édifiante et terrifiante. En 1939, les ghettos. En 1941, la solution finale. En 42, la décision des modalités de mises à mort, puis les déportations de masse. De 42 à 43, la mise sur pied des camps d'extermination. On connaît la suite...
Christelle Colleaux, du service éducatif du Rideau leur parle aussi de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda. Deuxième et essentiel volet : le spectacle que les élèves découvrent le soir au Rideau.

LA FORCE DU TÉMOIGNAGE

Troisième volet : une rencontre, au lendemain de la représentation, menée par Christelle Colleaux entourée de Pierre Vincke, directeur de l'ONG RCN Justice & Démocratie, qui décrit leur travail sur place, et de Marie-Louise Sibazuri qui témoigne longuement. Laissant les élèves sans voix. Après une vidéo de douze minutes tournée par l'ONG RCN Justice et Démocratie, elle apporte sa voix humaine, son propre vécu, sa sagesse et sa dignité. Elle confirme l'inhumanité dont elle a été témoin. Oui, des femmes enceintes ont été éventrées, des bébés ont été pilonnés et donnés en pâture aux animaux, des vivants ont été jetés dans les charniers. "Mais il y eut aussi, dit-elle, beaucoup d'humanité. Il n'y a pas de mots pour exprimer l'horreur vécuen, mais dans ces moments-là, il y a aussi, parfois, quelque chose de sublime qui se fait jour. Un exemple : en Afrique, on allaite son enfant jusque deux ou trois ans. Après un massacre, un bébé de six mois tétait les seins du cadavre de sa mère. Voyant cela, la mère d'un bébé de 9 mois, de l'autre ethnie, l'a pris et l'a nourri. Comme sa santé ne lui permettait pas de nourrir deux enfants, elle a sevré son propre fils, estimant qu'il était déjà un peu plus fort."
Et d'ajouter : "Faire sa part. Nourrir le bébé, sauver les mourants dans le charnier, recueillir les dernières volontés du disparu. Ne pas faire sa part, c'est de la lâcheté", conclut Marie-Louise Sibazuri... sous un tonnerre d'applaudissements.

Laurence Bertels © La Libre Belgique 21/11/2007
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lemkin plus professeur qu'ACTEUR

Père du mot « génocide », Raphaël Lemkin mérite d’être connu. Le Rideau met son combat en scène.

La « Maison de Lemkin » instruit mais ne convainc pas.

Combien de morts lors du génocide arménien ? pour celui des Juifs et des Roms ? en ex-Yougoslavie ? au Rwanda ? Comment définir un génocide ? « De nouveaux concepts nécessitent de nouveaux mots. Par génocide, nous entendons la destruction d’une nation ou d’une ethnie. Le mot est composé de la racine grecque « geno », race ou tribu, et du suffixe latin « cide », meurtre. » Ainsi s’exprime Raphaël Lemkin en 1944. Raphaël Lemkin ? Un Juif polonais qui inventa le mot « génocide » et qui se battit toute sa vie pour que « ce crime sans nom » soit condamné. La Convention, adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies en 1948, n’entre en vigueur qu’en 1951 et les Etats-Unis ne ratifient la loi qu’en 1988. Nous voici donc incollables sur le sujet grâce à Jules-Henri  Marchant, metteur en scène de « La Maison de Lemkin », un texte contemporain de l’Américaine d’origine française Catherine Filloux. Un important volet pédagogique accompagne d’ailleurs le projet pour les rhétoriciens.

Mallette sous le bras et détermination rivée au corps, Raphaël Lemkin frappe pour la énième fois à la porte du Congrès. Il est à nouveau éconduit. On lui conseille de prendre sa retraite, de faire des mots croisés voire de prendre des pilules pour lutter contre le stress traumatique. Pour parler d’un Lemkin mort tout en le rendant présent, l’auteur invite son spectre sur scène. Joli subterfuge qui permet au spectateur de suivre avec intérêt le long chemin du génocide.
Dans la maison du procureur, ouverte à tous vents, entrent les fantômes et les témoins de l’actualité. Ainsi, Raphaël Lemkin – incarné par Jean-Michel Vovk, qui donne à son personnage la juste fragilité et la rage voulue – rencontre le fantôme de sa mère. Passant du passé au présent, de la mémoire à l’immédiateté, il entend également les témoignages d’une femme tutsie qui voit son peuple massacré ou d’une femme bosniaque détenue dans un camp. Peu de vraies rencontres animeront malheureusement cette création, parfois didactique et paradoxalement confuse. On quitte cependant la salle un peu plus instruit et soucieux d’agir. Le Rideau nous en donne l’occasion, lui qui aime que le théâtre s’inscrive dans la vie. D’où  l’organisation du colloque « Devoir de voir » en collaboration avec RCN « Justice & Démocratie ». Car, comme l’écrit Pierre Legendre, juriste et psychanalyste, « la justice sépare l’innocent de l’assassin, l’assassin de son crime et la victime de sa souffrance. »

Laurence Bertels
© La Libre Belgique 10-11/11/2007

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l'HORREUR D'un MOT

 

La maison de Lemkin s’installe jusqu’à la fin du mois au Théâtre Marni. Pertinent mais brouillon.

Génocide, du grec « genos », race ou tribu, et du suffixe d’origine latine « -cide », meurtre. Si l’Histoire en est friande, il a fallu attendre Raphaël Lemkin pour introduire ce mot en 1944. La maison de Lemkin de Catherine FIlloux retrace le combat inlassable de ce Juif polonais d’origine ayant fui aux Etats-Unis pour, plus tard, faire entériner une loi condamnant ce crime des crimes. Véritable travail de Sisyphe, son œuvre sera partiellement  achevée par l’adoption de cette loi par les Nations Unies en 1948 et son entrée en vigueur en 1951. Lemkin mourra en 1959, oublié de tous dans la pauvreté. Paradoxalement, c’est par ce décès que débute cette pièce mise en scène par Jules-Henri Marchant.
Comme Lemkin qui revient hanter une maison délabrée emplie de victimes de génocides, la pièce prend malheureusement elle aussi des allures d’ectoplasme. Maelström où se mélangent tous les crimes contre l’humanité, de l’Holocauste au Rwanda en passant par l’ex-Yougoslavie, l’écriture ne fait que survoler l’Histoire et perd son propos. On passe sans transition d’uneTutsie accouchant un enfant né d’un viol à l’apparition armée d’un milicien hutu, d’un insouciant casse-croûte de donuts dans un bureau des Nations Unies à un camp de prisonniers bosniaques.

Réincarnations

Les scènes s’enchaînent de manière brouillonne, ne nous laissant jamais le temps d’entrer dans ces personnages dénués de toute psychologie. Pour embrouiller le tout, Lemkin lui-même se réincarne dans plusieurs personnages, tandis que sa mère lui apparaît par intermittences pour échanger regrets et reproches. Les comédiens se débattent comme ils peuvent dans une mise en scène ralentie par des effets inutiles, comme ces persiennes lentes et bruyantes découpant les tableaux.
Si cette pièce est pavée de bons sentiments et veut dénoncer la vanité de nos lois incantatoires au travers des efforts vains de personnages comme le général Dallaire au Rwanda, le texte de Catherine Filloux reste un inventaire superficiel, loin d’un chef-d’œuvre comme Rwanda 94 du Groupov, spectacle de cinq heures qui n’évitait pas la réflexion sur les sources du mal, dépassant l’émotion des drames individuels.
Matière théâtrale délicate, l’analyse des génocides est fondamentale si l’Humanité veut sincèrement ne plus revivre cela. Le 17 novembre, L’ONG RCN Justice & Démocratie organise donc un colloque d’une journée, nourri de témoignages sur le génocide du Rwanda, d’une lecture d’extraits d’Une saison de machettes de Jean Hatzfeld, d’une description des lois existantes et d’une discussion sur les limites du droit, les entraves politiques et les expériences sur le terrain avec la participation de spécialistes éminents.  Présente aux Rwanda, Burundi, Congo et Sud Soudan, l’ONG participe à la reconstruction de ces pays et régions par un travail de juriste, une formation de personnel judiciaire et un travail de conseil auprès des autorités locales. « Reconstruire la justice participe à la reconstruction de l’Etat car elle met fin au cycle des vengeances, souligne Pierre VIncke, directeur de l’ONG. Si on n’allie pas le regard de l’artiste à celui du juriste, du politologue et du scientifique, on reste avec une vision morcelée qui rend le combat contre les génocides plus difficile ».

Catherine Makereel © Le Soir 12/11/07

 

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