PAUL WILLEMS

Photo © Nicole Hellyn |
un auteur francophone
de Flandre
Fils de l’écrivain Marie Gevers, Paul Willems est né le 4 avril 1912 à Edegem, près d’Anvers.
J’ai passé mon enfance et mon adolescence au paradis. Missembourg, ma maison natale entourée d’eau et de haies, était isolée et protégée du monde. Nous avions parfois la visite de nos cousins venus d’Anvers et, en été, -événements rares- de Bruxelles. |
À Missembourg, il n’y avait aucun confort comme on dit, donc nous n’avions pas d’auto et pas de radio. On vivait comme il y a trois cents ans. Mon frère et moi étions seuls habitants de cet Éden. Plusieurs années plus tard, une petite fille, ma sœur, s’est ajoutée. Nous vivions sous l’œil de deux anges tutélaires. Je parle d’anges féminins, dont l’un, très vieux, était ma grand-mère. À nos yeux elle vivait depuis toujours. L’autre, jeune, était ma mère. À mes yeux elle vivrait toujours et serait toujours jeune. Et il y avait mon père que nous adorions.
Mes journées se déroulaient de façon immuable. Le matin, à neuf heures, ma grand-mère me dictait «Le Télémaque» de Fénelon.
Les leçons étaient courtes. Jamais elles ne dépassaient une heure et demie. À dix heures et demi, ma grand-mère fermait les livres et m’envoyait au jardin. Qu’il pleuve, grêle, vente, neige, qu’il fasse chaud ou froid, hiver comme été: au jardin.
Jusqu’à douze ans, année où je suis entré au lycée d’Anvers pour y faire mes humanités, j’étais un petit être tout à fait asocial et extraordinairement heureux.
Enfin, ma grand-mère s’est-elle rendu compte qu’elle me donnait en outre les clés de l’écriture ? Et comme il se faisait que ma mère était écrivain, il eût été étonnant que je n’écrive pas.¹
Après des études secondaires à Anvers et un périple de deux mois dans l’Atlantique, Paul Willems entreprend le droit à l’Université libre de Bruxelles.
(…) chaque fois que le vent soufflait sur l’Escaut, je ne pouvais m’empêcher de laisser tomber la philosophie ou d’autres cours. Je n’éprouvais aucun remords puisque je suivais les instructions que ma grand-mère m’aurait données si elle avait encore vécu. Choisir l’Escaut. Laisser tomber la pensée spéculative. Et c’est ainsi que mes promenades sur l’Escaut qui avaient d’abord duré deux ou trois jours étaient devenues presque des expéditions.¹
Paul Willems se spécialise en droit maritime, puis voyage en France où il rend visite à Giono, et séjourne en Bavière où il découvre le romantisme allemand. Revenu en Belgique après cet apprentissage majeur, il devient avocat stagiaire au barreau d’Anvers, puis il entre, pendant les années de guerre, au service du ravitaillement.
Mobilisés, désœuvrés depuis dix mois nous attendions aux frontières. Nous ne pouvions croire à la guerre, nous espérions de semaine en semaine être renvoyés à la vie civile. Et soudain, le matin du 10 mai, au moment où nous nous y attendions le moins, quelque chose d’énorme, quelque chose de fracassant s’annonçait.
Nous croyions tous obscurément que nous allions pouvoir agir. Nous allions infléchir le destin, repousser l’ennemi, sauver le pays.
C’est le 11 mai, je crois, vers sept heures du matin, que nous sommes sortis de Liège au pas lent des chevaux qui tiraient nos canons. Alors commença un rêve étrange. Tout ce que je voyais était comme décalé et plus lent que la vie réelle. L’armée, le pays entier commença une retraite qui me paraît maintenant avoir duré cent sept ans.¹
C’est en ces temps de guerre que Paul Willems écrit ses premiers romans: Tout est réel ici (1941), L’herbe qui tremble (1942), Blessures (1945) et plus tard, La chronique du cygne (1949).
Une autre chose encore, très secrète, m’appelait: la serviette de toile cirée que je portais sur mon porte-bagages; le manuscrit de Tout est réel ici. J’étais comme en état d’alerte, tous mes sens aiguisés, la tête claire, la pensée rapide. À chaque halte, assis au soleil sur le talus d’un fossé, à la lisière d’un bois, ou encore perché dans un grenier où j’avais installé le poste d’où j’observais le point d’impact de nos obus, qui ne venaient jamais, j’écrivais ou corrigeais quelque nouveau passage de mon livre.¹
Deux ans après l’armistice, Paul Willems quitte son poste d’attaché au ministère du Ravitaillement et entre au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles dont il sera directeur général jusqu’en 1984. Au cours de son mandat, il fonde Europalia, devient Président des Jeunesses Musicales de Belgique et Secrétaire Général de la Fédération Internationale des Jeunesses Musicales. C’est au Palais des Beaux-Arts qu’il fait la rencontre de Claude Etienne qui lui ouvre les portes du Rideau de Bruxelles dont il deviendra par ailleurs Président des années plus tard.
J’ai débuté au théâtre tout à fait par hasard. Parce qu’un jour -c’est en 1949 que je suis entré au Palais des Beaux-Arts- en me promenant j’ai rencontré un monsieur qui s’est présenté, qui était Claude Etienne. Il m’a dit: «Tiens, vous êtes Monsieur Willems. Est-ce que vous êtes de la famille de Paul Willems, l’écrivain de romans?» Je lui ai dit: «Mais c’est moi!» «Oh! dit-il, cela fait longtemps que j’essaye de vous toucher. Est-ce que vous voulez écrire une pièce pour le Rideau de Bruxelles?»²
S’ensuit une longue amitié entre l’auteur et le Rideau où sont créées la plupart de ses pièces: Le bon vin de Monsieur Nuche, Lamentable Julie, Air barbare et tendre, La plage aux anguilles, Il pleut dans ma maison, Warna ou le poids de la neige, Le marché des petites heures, Le soleil sur la mer, Les miroirs d’Ostende qui reçoit le Prix quinquennal de littérature française de Belgique 1980 et Elle disait dormir pour mourir. Quelques unes de ses pièces sont également créées au Théâtre National dont Peau d’ours, Off et la lune, La ville à voile et Nuit avec ombres en couleurs. C’est en 1990 qu’il signe La vita breve, sa dernière pièce. Certains de ses textes de théâtre sont traduits et joués dans le monde entier.
Il est encore l’auteur de La cathédrale de brume (1984), Le pays noyé (1990), Le vase de Delft (1995) et autres nouvelles. En 1988, il est invité à occuper la Chaire de Poétique de l’U.C.L. Les conférences qu’il y a données sont publiées sous le titre Un arrière-pays: rêveries sur la création littéraire.
Paul Willems s’en est allé en 1997, à l’âge de 85 ans.
¹ Paul Willems in «Un arrière-pays. Rêveries sur la création littéraire», Presses Universitaires de Louvain UCL, 1989
² Paul Willems in «Rencontre. Une Communauté, du Théâtre», Maison de la culture de la région de Charleroi, 1986
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