l'affrique, ses proies et ses chasseurs
Ne cherchez pas les antilopes, elles sont tapies tout comme les léopards qui leur sautent à la gorge, dans le ventre, dans la tête de ce couple de coopérants quadragénaires installés en Afrique depuis quatorze ans, des humanitaires qui ont raté leur mission. Seuls trois puits d’eau fonctionnent sur les quatre cents prévus et les enfants naissent encore entre les poubelles.
!
La veille de leur départ, dans l’attente de leur successeur, cet homme et cette femme sont terrorisés dans leur maison-bunker.
Ils s’abrutissent d’alcool, écoutent de l’opéra et déchirent les derniers lambeaux de ce qui les lie dans cette Afrique (indéterminée) de la corruption, de la prostitution, qui grouille de vers, d’insectes, de coassement de grenouilles, de corps sanglants.
Une greffe qui n’a pas pris
Noir de noir, traversé d’humour cynique, ces Antilopes, ficelées dans le suspens, rappellent que son auteur Henning Mankell est un des plus grands écrivains de polars de ces dernières décennies, un homme qui partage sa vie entre la Suède et le Mozambique, entre les thrillers et le théâtre.
Son Afrique il la connaît… et la fantasme. Ses Antilopes, c’est l’histoire d’une greffe qui n’a pas pris, rejetée par les Blancs… et par les Noirs. « Les personnages principaux de cette pièce sont les Noirs. Mais on ne les voit pas », écrit Mankell. Ce que respecte la mise en scène de Christophe Sermet,
qui signe avec Delphine Coërs une scénographie d’un dépouillement
efficace, révélateur : un container de bois, à l’arrière-plan, sorte de sas entre l’extérieur et l’intérieur, dont un pan sert de porte, un soubassement de mur, en guise de rampe, un divan de cuir confortable, un minifrigo… et presque discrètement accroché au mur, une petite corne en trophée. Le décor sonore de Maxime Bodson insinue en permanence les bruits du dehors, les insectes…
Quant à la chaleur, la moiteur africaines, cet autre container
qu’est l’Auditorium Paul Willems au sein des Beaux-Arts, fait bien l’affaire ! C’est d’ailleurs le dernier spectacle qu’y propose le Rideau, toujours en quête d’un autre lieu.
Une nouvelle fois, après son mémorable Hamelin, Christophe
Sermet se révèle un redoutable directeur d’acteurs, qui fait sourdre l’Afrique intérieure des corps à demi vêtus, de l’animalité sauvage et blessée de Muriel Jacobs, félin qui surveille sa proie du haut du sas, recroquevillée sur le sol, avec dans le regard, la peur hallucinée, paranoïaque, qui mine aussi un Bernard Sens complexe, pitoyable et désarmant dans sa veulerie. Un troisième personnage fracture en seconde partie leur scène de ménage :
Grégoire Fasbender offre lui aussi une palette trouble au «colon» qui succède au couple. Le vernis de l’idéalisme humanitaire se craquelle vite, sous le casque colonial de temps pas si anciens…
Un spectacle fort.
Michèle Friche © Le Soir 29/03/2009

l'aveuglement des blancs
Henning Mankell a deux vies.
Dans l’une, il vit en Suède et y
écrit de formidables romans
policiers dont les ressorts psychologiques
n’ont rien à envier aux tourments
de Bergman. Dans l’autre, il
est à Maputo, au Mozambique, où il
anime un théâtre. Entre les deux, il
défend la cause des réfugiés et des
Palestiniens.
“Antilopes”, sa pièce mise en scène
au Rideau par Christophe Sermet,
est le mélange de ces deux vies. Le
couple qui s’y déchire, très bien joué
par Bernard Sens (juste un peu trop
hystérique) et Muriel Jacobs, est
passé à la loupe bergmanienne.Mais
le climat, le lieu, le décor est bien
cette Afrique brûlante, avec sa chaleur
moite, ses insectes qui s’infiltrent
partout jusqu’à créer chez le
“colon” blanc, la peur et la paranoïa.
La femme et l’homme sont venus
jadis, il y a une quinzaine d’années,
bourrés de nobles ambitions. Ils voulaient
sauver l’Afrique en creusant
des puits d’eau potable. Après quinze
ans et mille problèmes, seuls trois
puits sont opérationnels. Lui s’est
abîmé dans lewhisky quotidien et le
regard lubrique vers les jeunes beautés
noires. Surtout, il est envahi par la
peur. Il veut des gardiens et des portiques. “L’Afrique est trop compliquée !
Faut-il
leur demander pardon ? Tous les
Blancs ont peur.”
Si l’homme devient veule et pitoyable,
la femme garde un peu de
sensibilité et n’en peut plus du
drame qui a amené le garde à tuer un
gamin qui s’était introduit dans leur
propriété. “Comment peut-on
aider un
pays si on a peur? N’a-t-on
pas moins
de dignité que ceux qu’on veut aider ?”
La question de Mankell étant : “Sommes-nous
là pour les aider à vivre ou les
aider mourir?”
Glissant avec le temps dans un mélange
de racisme primaire et de restes
d’idéalisme, le couple en sous-vêtements
se déchire pitoyablement.
Muriel Jacobs et Bernard Sens l’expriment
dans une farce triste, qui
convainc d’autant plus que cette fois
le petit théâtre à Bozar convient, avec
son aspect étriqué de container surchauffé
sous le soleil des tropiques.[...]
[...] Pour
Mankell, ce divorce entre l’homme
blanc et l’Afrique est bien le fait du
premier. Il le montre avec le personnage
de Lundin qui vient remplacer
le couple en partance. Lui aussi est
plein d’idéalisme mais aussi d’arrogance
et déjà de peur. Il traite d’emblée
le personnel comme un colonial.
Dès le départ, on sait que cela échouera à nouveau.
Christophe Sermet resserre l’histoire autour du cris à cris du couple. On assiste en voyeur à leurs empoignades comico-tristes dans la touffeur des ténèbres.
Guy Duplat © La Libre Belgique 25/03/2009

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