poète de quoi ?
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Amoureux de texte dans l'absolu, de la langue qui dit, qui donne, du verbe qui cherche, qui fouille, qui remue, il [Frédéric Dussenne] livre un spectacle où la ferveur se mêle à la retenue, où les regrets tempèrent les excès. Un spectacle jamais alangui dans la longueur, ni collé de trop près au destin de son personnage principal. Aux côtés du Jan fiévreux et résolu de Renaud Tefnin (qui interprétait le fils dans "Affabulazione"), un ensemble de jeunes acteurs, portant chacun au bras l'indication de son rôle : le poète pour Julien Coene, le partisan/la révolution pour Vanessa Compagnucci, la mère pour Caroline Detez, la soeur pour Muriel Legrand, le père/Karel pour Josselin Moinet. Disparate en tempéraments et pourtant très cohérente, cette judicieuse distribution habite sans répit un plateau brut, seulement occupé par un piano, et fait grimper l'espace de jeu jusqu'au gradin, avec les lumières complices ciselées par Renaud Ceulemans.
Dense et complexe, la matière de "Bête de style" s'apparente à une vague, aux rouleaux puissants, aux courants imprévisibles. On s'y laisse emporter, quitte à dériver par instants. On guette son rythme, ce matériau si précis et présent dans le théâtre de Frédéric Dussenne, qui ici le travaille par la parole, le chant, le choeur. Avec une sincérité déchirante, une généreuse justesse.
Marie Baudet © La Libre Belgique 18-19/09/2010
bÊte de style
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Si l'on aborde Bête de style avec un peu d'appréhension, force est de reconnaître que Frédéric Dussenne nous offre un travail soigné et prenant.
L'art poétique de Pasolini est là, présent, perceptible, sous forme d'images pénétrantes, lumineuses. Elle se prolonge dans les chants (interprétés par les acteurs). Sublimés par la voix de Muriel Legrand, ces morceaux, en parfaite adéquation avec la thématique de la pièce, amplifient ou soulignent à merveille ce dernier, mais sont aussi de pures oasis respiratoires entre deux tableaux.
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Si (...) la densité et la complexité du texte provoquent certains décrochages ou parfois une impression de confusion, tout s'oublie devant la qualité de l'interprétation des six comédiens. Ils nous offrent un engagement total. Le corps, dans chacun de ses mouvements ou de ses regards, n'est qu'une extension de la plume de Pasolini et de l'inventivité scénique de Frédéric Dussenne.
(...) quelques superbes moments de théâtre (...)
Frédéric Dussenne nous propose donc un spectacle subjuguant et captivant.
Bête de style, superbement bien joué, n'est qu'intensité, émotions et poésie.
Muriel Hublet © www.plaisirdoffrir.be

l'espérance, quel cauchemar !
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Poursuivant son cycle pasolinien entamé avec "Affabulazione" la saison dernière, Frédéric Dussenne continue de démêler avec soin et audace la folie incantatoire et visionnaire de l'artiste maudit dans "Bête de Style". Dans ce manifeste autobiographique, Pasolini imbrique son parcours de poète militant censuré, issu de la petite bourgeoisie, à celui de Jan Palach, étudiant tchèque qui s'immola par le feu le 16 janvier 1969 pour protester contre l'invasion de son pays par l'URSS, préférant la mort au joug soviétique. Son testament rendu public déclencha un immense sursaut de nationalisme en Tchécoslovaquie. Du nazisme au capitalisme en passant par le communisme, c'est toute la tragédie du XXe siècle qui traverse la pièce, scène et salle respirant ensemble le même air lourd, troué de soyeux morceaux musicaux, éclairs de résistance chantés a capella par six comédiens impeccables, emmenés par la voix cristalline de Muriel Legrand.
(...)"Bête de Style" rugit, entre rage et impuissance. Sur un plateau brut, dont seul un piano rompt la sobriété, les comédiens portent ce cri sur un mode tragique, maîtrisé, jamais vain, dans un incessant élan de prise à témoin du spectateur. Une ferveur qui semble venir des entrailles à l'image de Caroline Detez, terrifiante en fantôme de la mère de Jan Palach, vociférant dans une scène obscène le souvenir des camps de concentration. Il est là, dans cette lave verbale, dans ces invocations infernales, le théâtre de Pasolini. Un théâtre qui escalade les murs pour hisser le poète à leurs sommets.
Catherine Makereel © Le Soir 13/09/2010

critique de Dominique Mussche sur Musiq3 / R.T.B.F.
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Bête de Style est une pièce sur la différence, en l’occurrence celle que Pasolini a toujours ressentie entre lui-même et la société qui l’entourait. Il y parle notamment de son homosexualité et de son adhésion au communisme. Mais rappelons qu’il n’a jamais été stalinien par contre ! En réalité Pasolini considérait cette pièce comme son autobiographie théâtrale. Mais alors… comment parler de soi sur un plateau de théâtre quand on s’appelle Pasolini. Eh bien, Pasolini a choisi de s’incarner dans un double, un personnage historique, devenu mythique, Jan Palach. Ca vous dit évidemment quelque chose, même si c’est très éloigné de nous maintenant. Rappelez-vous, c’était ce jeune Tchèque qui s’est immolé par le feu pour protester contre l’invasion de son pays par les soviétiques. C’était en janvier 1969.
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Qui d’autre que Frédéric Dussenne pour canaliser, apprivoiser cette force vive, lui donner corps aussi sur le plateau, lui qui a déjà tellement bien mis en scène certains poètes comme Rimbaud. Ce qui est original c’est qu’il a confié ce travail délicat, difficile à de tout jeunes comédiens qui insufflent à ce texte, une énergie, une violence qui secouent le spectateur. Autres belle idée : Dussenne a inséré des passages musicaux qui sont chantés par les comédiens et qui donnent une touche un peu brechtienne à l’ensemble.
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Tout cela est remarquablement interprété. Parlons enfin de cette salle de l’Atelier 210 que tout le monde ne connaît peut-être pas. C’est une ancienne salle de fête de collège tout fanée qui suinte la nostalgie. Ce qui est intéressant c’est que le spectateurs ne sont pas assis sur les fauteuils comme d’habitude : ils leur font face sur des gradins, l’aire de jeux se situant au centre. Et donc derrière cette aire de jeux, que voyez-vous spectateurs …. ? Les fauteuils vides. A vous d’y projeter vos propres rêves !
Dominique Mussche © R.T.B.F. / Musiq 3 10/09/2010

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