Comment rompre en une heure
L'Israélien Hanokh Levin livre une pièce d'un glauque fabuleux pour sectionner le couple et scruter tout ce qu'il a dans le ventre. Philippe Vauchel, qui a remplacé Bernard Sens au pied levé, est formidable. Romantiques s'abstenir ! (…)
(…) on pourrait se dire qu'un peu plus d'une heure d'échanges maniaco-dépressifs entre deux adultes aigris a de quoi faire fuir le plus motivé des spectateurs mais l'écriture d'Hanokh Levin, trois comédiens épatants et une mise en scène nerveuse, en fait une tragicomédie d'un glauque fabuleux.
Philippe Vauchel avec sa bouille ronde, son physique de Monsieur Tout-le-monde et sa démarche de distrait gaffeur se coule à merveille dans la peau de Yona, parfait raté qui raisonne sur la débâcle conjugale. (…) Leviva, l'épouse, jouée par une Anne-Claire d'un comique cruel. Bouillonnante d'hystéries contradictoires et prête à toutes les humiliations (…).
(…) Tous deux, d'un glacial terrifiant, déclenchent l'hilarité, un peu jaune, du public. On dirait du Feydeau acide. (…)
Catherine Makereel © Le Soir 27/04/2010

Chronique de Dominique Mussche
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Si la scène de ménage est vieille comme le monde, (...) Hanokh Levin nous en offre une variante des plus cruelles et des plus drôles à la fois.
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Une laborieuse entreprise n’est pas une énième comédie sur un couple en crise, elle dépasse le burlesque pour aller voir au-delà, ce qui se cache derrière toute cette haine parce qu’il faut bien parler de haine. Interrogation métaphysique ? Peut-être, en filigrane en tout cas… Le couple n’est-il pas la meilleure invention pour apaiser l’angoisse mais n’est-il pas aussi le révélateur de nos échecs ? De l’inadéquation entre nos aspirations et les moyens que nous mettons en œuvre pour les réaliser ?
Cela dit on rit énormément mais souvent jaune je vous préviens ! L’humour d’Hanokh Levin est féroce, même les procédés classiques du comique à répétition font mouche, tout se coule dans une écriture très serrée, des dialogues incisifs.
Christophe Sermet confirme ici son talent de metteur en scène. Un rythme implacable, une très ingénieuse utilisation de l’espace et une excellente direction d’acteur. On ne tombe jamais dans la caricature. Il est vrai qu’on a affaire à 3 magnifiques acteurs, Anne-Claire, Benoît Van Dorslaer et Philippe Vauchel, à la fois odieux et pathétiques… bref des êtres humains tout simplement !
Vous l’avez compris, c’est un spectacle à voir !
Dominique Mussche © Musiq3 - RTBF 30/04/2010

hanokH LEVIN : pathétique, le couple
Il a fallu attendre sa mort prématurée, en 1999 (à 55ans) pour qu’on s’intéresse à Hanokh Levin au-delà d’Israël. On découvre alors pourquoi cet enfant terrible de la société israélienne, chéri par la gauche, vomi et censuré par la droite est un grand dramaturge , pas seulement israélien mais universel.
Critique***
On n’a pas encore vu en Europe les pièces politiques du jeune Hanokh Levin qui firent scandale en Israël, dans les années 1960-1970 et qui lui valurent la réputation d’auteur sulfureux. En 1968, dans Toi, moi et la prochaine guerre, ou dans Parade victorieuse pour la guerre des 11 minutes au lendemain de la Guerre des 6 jours il osait s’attaquer, dans un cabaret satirique à l’armée israélienne et à ses généraux et même à l’icône Golda Meir .Dans certaines pièces comme La reine de la baignoire, il va plus loin, s’attaquant à la religion, pilier de l’Etat juif. Puis il s’assagit, politiquement, mais c’est pour s’attaquer, avec un humour grinçant à la famille et à la société. Des thèmes très ancrés dans la société israélienne mais à valeur universelle.
Dans Schitz, mis en scène par David Strosberg, en 2004 au KVS ; ou Kroum, monté par Krysztov Warlikowski, à Avignon en 2005, on assiste à une énorme parodie des valeurs familiales. L’armée, la société, la religion, la famille, tout est passé à la moulinette d’un humour féroce et destructeur.
Dans Une laborieuse entreprise, Hanokh Levin s’attaque à un des derniers ciments sociaux : le couple. Yona, l’homme, se réveille un jour, à deux heures du matin et décide de quitter sa femme, Leviva, après trente ans de mariage. Un retour du refoulé haineux accompagne la fuite d’un paquet de haine. La pièce est un règlement de comptes corsé et odieux de l’homme qui oscille entre fuite et peur de la solitude « Non, non, je reste avec toi sur le balcon, avec toi dans la cuisine, avec toi dans le lit. Avec toi pour te faire chier. Je vais baiser dehors – et péter à la maison » fin de citation. Une langue tellement agressive qu’elle parvient à susciter le rire par ses outrances. La femme plaide pour le statu quo sans épargner son lâche de mari.
Une scène de ménage tellement énorme qu’elle dépasse le petit vaudeville du quotidien pour s’apparenter au théâtre de la cruauté. La mise en scène de Christophe Sermet qui place le lit conjugal sur une sorte de ring permet d’installer visuellement le rapport de forces et de haine.
Philippe Vauchel remplaçant au pied levé Bernard Sens, victime d’un accident, est prodigieux de présence physique. D’autant plus crédible qu’avec sa tête de bon garçon et son corps alourdi, la haine prend avec lui une densité universelle: elle est une maladie qui guette tout le monde. Quoi même ce brave type peut être odieux ? Et nous ? Anne-Claire est superbe d’ambiguïté dans le rôle de l’épouse qui semble subir et reprend la situation en main. Ses métamorphoses physiques sont du grand art. Benoît Van Dorslaer joue un célibataire casse-pied et ramène un peu de sagesse dans le couple, par peur de la solitude.
Christian Jade © www.rtbf.be/culture 30/04/2010

COUPLE AU SCALPEL
Christophe Sermet met en scène Une laborieuse entreprise, d'Honokh Levin, au Rideau de Bruxelles : l'intelligence du plateau travaille la comédie noire de l'humanité.
Une perle "comédie noire" de l'écrivain israélien Hanokh Levin (...). Sa langue, d'une efficacité redoutable, ciselée, économe, est un cadeau aux comédiens et ceux que dirige Christophe Sermet en distillent le suc, du corps et de la voix, osant la nuance, la poésie, jusque dans les éclats. Ils refoulent la caricature dans ce déferlement tragique et drôle.
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Point de naturalisme dans la manière de Christophe Sermet d'allier la géométrie rigoureuse (...) à la théâtralité affirmée, avec micro, praticable, allers-retours entre espace de jeu et adresse au public.(...) Et le tout sans masquer le frémissement intime des interprètes. Du grand art d'un metteur en scène, associé au Rideau de Bruxelles.
Michèle Friche © Le Vif/L'Express 7/05/2010

bris de coeurs
Le couple démantelé, au Rideau, par l'acerbe Hanokh Levin.
Les scènes de la vie conjugale sont légion dans le répertoire théâtral, parce que révélatrices de l'humain, ses aspirations, ses bassesses, ses obsessions, ses vaines promesses. Sous la plume de l'auteur israélien (1943-1999), la cruauté s'en fait le ressort principal.
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Remplaçant au pied levé et avec brio Bernard Sens - victime d'un accident -, Philippe Vauchel met toute sa bonhommie dans l'interprétation de ce mari (...). Il semble si humain, il se révèle si violemment cruel; (...) Leviva (...) ne sera pas en reste.(...) Gracile sinon fragile, elle a les traits d'une Anne-Claire impressionnante de versatilité, chez qui voisinent en vagues rage, tendresse, ironie, vengeance.
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Christophe Sermet signe pour "Une laborieuse entreprise" une mise en scène enlevée, où la mélancolie, notamment musicale, fait contrepoids à la parole crue et nue, où la nuance ponctue l'excès, où l'humour tempère la peur, ineffable, inévitable, de la mort de soi, de l'autre.
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Marie Baudet © La Libre Belgique 8 & 9/05/2010

la vie : de la merde ou une oeuvre d'art ?
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"Une Laborieuse entreprise" nous plonge dans une scène de ménage impitoyable. Un affrontement féroce qui reflète également le désarroi devant la vacuité de l’existence. Et pourtant cette comédie noire est revigorante.
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Les héros d’"Une Laborieuse entreprise" se complaisent à reconnaître leur échec, mais leur énergie les vaccine contre le désespoir. (...) En mariant des situations cocasses, truffées de répliques cinglantes et d’effets burlesques, à des scènes pathétiques, l’auteur nous incite à retrouver nos fêlures, nos lâchetés et nos rêves. (...)
Dans sa mise en scène intelligente, Christophe Sermet nous fait sentir que ces époux fouillent leur vécu intime et maltraitent celui de leur adversaire, en jouissant de se donner en spectacle. Les comédiens vivent cette débâcle conjugale avec une grande maîtrise. Philippe Vauchel est un Yona agressif, amer, haineux, poltron, mais qui nous attendrit par sa maladresse et son impuissance. Sa bouille de brave homme, qui s’accroche à de vagues chimères, convient parfaitement à ce vieil enfant. Le jeu très nuancé d’Anne-Claire révèle une Léviva vulnérable, mais plus solide que son mari injuste et violent. Elle tient à endurer la vieillesse et à achever cette laborieuse entreprise qu’est la vie. Si cette comédie a une portée universelle, elle le doit aussi à l’originalité de son écriture, où se mêlent réparties caustiques, expressions triviales et incantations lyriques. L’humour grinçant de Levin fait du bien : il stimule notre lucidité et nous protège du renoncement.
Jean Campion © www.demandezleprogramme.be

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