après Fabbrica le retour de celestini
Préparez vous mouchoirs, musclez vos sourires. La prose inimitable d’Ascanio Celestini est de retour au Rideau de Bruxelles. Cet explorateur de fables, qui arpente l’Italie pour récolter les histoires, est l’auteur de Fabbrica, joué par Angelo Bison. En 2005, ce monolgue sur le monde du travail avait réjoui et ému le public (qui en reprendrait encore bien une tournée générale).
Puisqu’on ne change pas une équipe qui gagne, Angelo Bison a demandé à Pietro Pizzuti de traduire et de jouer avec lui Histoires d’un idiot de guerre, du même Celestini. A la mise en scène, ils ont embarqué Michael Delaunoy, chargé d’imaginer comment la parole d’un seul conteur peut se diviser en deux.
Histoires d’un idiot de guerre repose sur le plus petit récit qui soit. « A 8 ans, mon père a risqué sa vie pour un oignon », résume Ascanio Celestini. C’était le 4 juin 1944, dans les rues de Rome. C’était le jour de la Libération. Le père d’Ascanio lui a raconté ce qu’il a vu ce jour-là. L’auteur a récolté d’autres témoignages. Dans le torrent du récit, le même fait peut être raconté plusieurs fois, au fil d’histoires magnifiques, saugrenues, révélatrices de la nature humaine.
« Sans jamais rendre les événements mièvres, ni atténuer la violence de la guerre, Celestini parvient à se concentrer sur ce qui vit et palpite. Dans la fange, c’est la lumière qui l’intéresse » s’épate Michael Delaunoy.
Coquin, caustique, cynique, l’auteur italien aime le concret du récit. « Je veux partir du petit pour aller vers l’universel », commente ce conteur hors pair. A présent, ses textes trouvent d’autres interprètes. « Mais je ne me considère pas comme un auteur ! réagit-il. Je raconte des histoires. Et la plupart de ces histoires m’ont été racontées par d’autres. Je trouve normal qu’ensuite, d’autres les racontent ! »
La véritable surprise, au Rideau, ce sera bien d’entrendre ce sacré lutin parler à travers… deux bouches ! Comment Pietro Pizzuti et Angelo Bison vont-ils se partager le crachoir ? « Il a fallu trouver le bon équilibre pour ne pas trop en faire, avoue Delaunoy. On a voulu développer des passages plus physiques, mais on s’est pris les pieds dans le tapis ! Les images doivent exister dans le cœur et la tête des gens. Finalement, nous sommes revenus à une grande simplicité. » Avec deux raconteurs d’exception comme Bison et Pizzuti, le conte devrait être bon.
Laurent Ancion © Le Soir 27/02/2007

Un oignon, un cochon, des histoires
Pietro Pizzuti et Angelo Bison dédoublent la voix d’Ascanio Celestini
Touchantes, troublantes et drôles « Histoires d’un idiot de guerre » au Rideau
Auteur et acteur, Ascanio Celestini a d’abord déboulé sur nos scènes à la faveur du Festival de Liège, avec son théâtre narratif, de tradition orale, ses yeux pétillants et sa barbiche. Il y est revenu, tandis que le Rideau avait créé en français « Fabbrica », sobre et somptueux succès couronné par une large tournée et un prix du meilleur seul en scène pour Angelo Bison, qui y était mis en scène par Pietro Pizzuti.
A présent les deux acteurs se retrouvent sur le plateau, sous la direction fine et attentive de Michael Delaunoy dans une sobre scénographie à nouveau d’Anne Guilleray, assistée de Philippe Henry. Un plancher posé en diagonale, deux chaises, une légère brume, des ampoules. Les lumières de Laurent Kaye, toujours subtiles, vont dans le sens général et judicieux de la simplicité. Car rien ne sied mieux aux histoires glanées, compilées, recomposées, racontées par Celestini, fussent-elles dites par d’autres. Alors que lui, d’ordinaire, les débite d’une traite, à toute allure, assis sur une chaise.
La chaise demeure, la parole est dédoublée dans ces « Histoires d’un idiot de guerre ». Où du reste les voix – si le récit part de celui du père d’Ascanio, Gaetano Celestini, qui avait 8 ans quand, le 4 juin 44, les troupes alliées marchent sur Rome – sont multiples. L’enfant, traversant la ville avec son propre père, découvre un oignon qui fera du morceau de foie et de l’œuf qu’ils ont dégoté un repas de roi pour toute la famille. « Mon père a failli mourir pour un oignon » que son propriétaire n’entend pas laisser filer. Mais il racontera lui aussi bien des choses. Et puis il y a ce cochon volé aux Allemands : à vendre, vivant, mille lires, mais pour cela il faut constituer une société. Qui en est ? Il y a le coiffeur aux mains magnifiques, devenu soldat, faisant le mort parmi les morts et qui ressuscitera avec eux. Il y a le garçon aux pommes de terre. Il y a Primo, le fils unique d’un héros, et Jubilé, qui pense que les mouches sont l’animal parfait, et le jeune soldat allemand qui lui ressemble tant. Il y a San Lorenzo bombardé (« depuis ce jour-là, tous les jours à onze heures je regarde mon quartier et je tremble »). Il y a les prisonniers, le train, le camp, l’amour, la mort, l’obscurité, la délivrance. « Pendant la guerre, la nuit c’est la fin du monde. » Il y a surtout, dans cet entrelacs, le regard d’un enfant, un fil tendu entre l’horreur et l’humour, les légendes et la vérité, celle qui peut changer parce qu’elle fut vécue puis dite, qu’elle est crue et redite, et encore racontée, toujours autre, toujours elle.
L’étincelle d’enfance habite l’interprétation généreuse des comparses Pietro et Angelo. Le sourire modeste et radieux d’Ascanio y fait écho, qui les rejoignit sur scène, au terme de la première mardi – fougueusement applaudi.
Marie Baudet © La Libre Belgique 01/03/07

Un nouveau délice signé Celestini
Mardi soir, au Rideau de Bruxelles, toute une salle a vibré, pleuré, ri et ronronné de plaisir en écoutant les Histoires d’un idiot de guerre de l’auteur italien Ascanio Celestini, racontées avec une émotion qui fait frissonner l’échine par Pietro Pizzuti et Angelo Bison. La mise en scène ludique et tendre de Michael Delaunoy leur fait toucher la grâce, qui trouve aussi ses ailes dans les éclairages raffinés de Laurent Kaye. Une réussite à la tendresse exceptionnelle.
L’homme disait Artistote, est un animal doué de parole. Mais que fait-on de notre bla-bla ? On court, on règle nos agendas, on insulte le type deavant qui n’avance pas. Tout en sachant que les mots ont une valeur inestimable : ils permettent de raconter des histoires et d’exercer le devoir de mémoire. Chaque récit compte, comme une petite pierre apportée à la digue contre l’oubli. C’est une de ces pierres précieuses que sculpte Celestini.
Deux conteurs au prix d’un
Armés de deux simples chaises, Pietro Pizzuti et Angelo Bison, doubles de l’auteur, se présentent comme les fils de Nino, un gamin qui « à huit ans, a risqué sa vie pour un oignon ». C’était le 4 juin 1944, jour de la Libération de Rome. Nino trouve l’oignon au milieu des décombres. Il suit son père qui veut constituer une société pour racheter un cochon qu’un proche parent a volé aux Allemands.
C’est le récit de base. Un récit de guerre, mais par la bande : Nino et son père croiseront un coiffeur aux belles mains, un enfant devenu vieillard, un gamin culotté ou un gardien de chochon, et chacun racontera la guerre à sa façon. Jusqu’à faire parler les mouches ou convoquer la Sainte Vierge pour une petite apparition… Dans ce récit à tiroirs, chaque chapitre est un spectacle à lui tout seul : votre billet de théâtre en vaut une bonne dizaine !
Toutes les histoires partent du même fait réel (l’oignon), mais elles évoluent jusqu’à devenir complètement burlesques, bouleversantes, épiques. Où est le vrai, où est le faux ? Qui raconte quoi ? On s’y perd parfois, peu importe. L’écriture vive de Celestini, traduite par Pizzuti, parvient à nous donner une autre vision du réel. Une vision fulgurante, qui dépasse les mots qui la constituent. Delaunoy l’a compris, qui refuse une mise en scène illustrative, au profit d’acteurs qui se font commis-conteurs : ils portent magnifiquement la parole des autres.
En outre, tout cela fleure bon l’Italie, par l’art de la tchatche bien sûr, mais aussi par cette capacité à parler de sujets graves avec légèreté, comme si de rien n’était. Le texte est drôle, mais aussi impitoyable. Soudain, il nous fait sentir la puanteur de l’humanité qui crève sous les bombes, il jette un personnage parmi les morts de sa charrette, au milieu des bouches ouvertes. « Pendant la guerre, la nuit a un visage de fin du monde », écrit Celestini, avant de susciter un grand rire l’instant qui suit. Ce type est un acrobate irrésistible.
« Mon père a raconté cette histoire pendant toute sa vie. Mais pas tout à fait de cette façon. J’ai entendu d’autres histoires ailleurs. Et j’en ai aussi inventé », avoue Celestini à la fin de son texte, pour une ultime et magnifique pirouette : tout est vrai, même si c’est faux. Ce qui compte, c’est l’oreille qu’on se prête, pour réfléchir aux drôles de bêtes que nous sommes.
Laurent Ancion © Le Soir 02/03/2007

HISTOIRE D'UN IDIOT DE GUERRE
Retour au conte, moderne, savoureux, avec "Histoires d'un idiot de guerre" d'Ascanio Celestini. Voilà un auteur vivant, que le Festival de Liège nous propose chaque année en italien et que le Rideau de Bruxelles nous traduit avec l'énorme savoir-faire de Pietro Pizzuti. Cette fois le narrateur se dédouble sur scène : Pietro Pizzuti et son complice Angelo Bison chantent l'amour du père et du petit peuple dans un moment tragique, l'an 1944, où Rome est occupée par les Allemands et attend avec scepticisme les Américains. La réalité et l'imagination tournent à toute allure, avec un humour à la Benigni, tirant du tragique de la situation une force comique irrésistible. Le récit est un délire baroque porté par deux acteurs complémentaires, Pie(t)ro le fou et Angelo le sage. Un délire entre cauchemar et réalité, clarifié par la mise en scène économe de Michael Delaunoy.
Christian Jade © RTBF-radio, Matin Première 02/03/2007

d'HOMME A HOMMES
Un bonheur absolu, drôle et tendre, intime et universel : les très humaines Histoires d’un idiot de guerre, d’Ascanio Celestini, au Rideau de Bruxelles
Des hommes racontent des histoires à d’autres hommes, depuis la nuit des temps, depuis l’aube du théâtre. Ascanio Celestini, est l’un d’eux. Ce fabuleux conteur romain (né en 1972), avec sa barbiche de lutin, son regard malicieux et son débit vertigineux, c’est Jean-Louis Colinet, actuel directeur du Théâtre national, qui nous le révéla, dès 2003, quand il dirigeait encore le théâtre de la Place, à Liège. Celestini était là, ému, au Rideau de Bruxelles, pour la seconde création en français de ses pièces. Après le bouleversant Fabbrica, avec Angelo Bison, mis en scène par Pietro Pizzuti, se profile une autre merveille, ces Histoires d’un idiot de guerre où les deux compères se retrouvent, dirigés par le metteur en scène Michael Delaunoy.
La scène baigne dans une fine brume, celle des histoires qui picorent autant au réel qu’à l’imaginaire. Sur le plateau qui ne compte que deux chaises, Anne Guilleray a imaginé un tas de petites ampoules, des cailloux de lumière : « Vue d’en haut, la ville devait ressembler à un seau plein de cailloux. La seule chose intacte était le soleil. » C’était Rome, le 4 juin 1944, à l’arrivée des Alliés, et le père d’Ascanio avait alors 8 ans. Il a nourri son fils de ses histoires de guerre. Celui-ci les a enregistrées, mêlées à d’autres, brodées d’invention, enchâssées en gigogne jusqu’à la légende fantastique. Tout un peuple grouille par la bouche des comédiens, dédoublement d’Ascanio et de son père, mais aussi du soldat italien et du soldat allemand, « des gamins qui venaient d’apprendre à lacer leurs chaussures », jumeaux par la même tache de vin au visage. Leurs histoires ressemblent à cet oignon trouvé par le garçon. On n’en finit pas de l’éplucher, jusqu’au cœur, là où trône un cochon volé aux Allemands que l’on rêve d’acheter. Quand les lires sont enfin réunies, le cochon est mort… Entre-temps, nous aurons rencontré des mouches qui parlent à la Madone, un coiffeur aux longs doigts effilés qui pouvait couper le bœuf avec une lame de rasoir, un autre qui faisait semblant d’être mort parmi les cadavres et les voyait ressusciter, des déportés en train vers un camp, des bombardés déchiquetés à San Lorenzo, des enfants-vieillards de la guerre, qui jonglent avec la misère, la peur, la mort comme le font les clowns.
Traduite par Pizzuti, gorgée de la terre italienne des deux comédiens les plus souples, les plus émouvants qui soient, la langue de Celestini est une merveilleuse musique, avec ses leitmotivs, ses répétitions, ses coloratures… Et Michael Delaunoy joue sur ce clavier en toute humilité, mais avec quel art subtil et ludique de la variation ! Magique !
Michèle Friche © Le Vif/L’Express 9-15 mars 2007

une histoire de cochon
Un conte halluciné dans les mains d’un duo mémorable
Après le succès de Fabbrica, Angelo Bison et Pietro Pizzuti, nous proposent un nouveau texte d’Ascanio Celestini : Histoires d’un idiot de guerre. Une épopée rocambolesque contée, à peine jouée, qui nous emmène à Rome sous les bombes, à la recherche de 1.000 lires pour l’achat d’un cochon.
Quel plaisir de voir ces deux fameux comédiens belges d’origine italienne, réunis sur scène autour d’Ascanio Celestini, un auteur-conteur italien de 34 ans, qui d’emblée, a charmé le public belge. D’abord au Festival de Liège, en chair et en os et en version originale surtitrée, puis, en français au Rideau avec Fabbrica, meilleur seul en scène 2005. Cette fois-ci, le spectacle, dirigé par Michael Delaunoy, est un travail d’orfèvre à plusieurs mains, dans une traduction française de Pietro Pizzuti lui-même.
Sur scène, l’ambiance est à la veillée. La scénographie d’Anne Guilleray installe deux chaises à l’avant et un monticule d’ampoules lumineuses à l’arrière. Le tout, en intimité avec les superbes lumières de Laurent Kaye, épouse les courbes du récit : le tas d’ampoules renforcera l’effroi des charniers, une fine poussière, les décombres de la ville et d’autres lumières, sombres comme des ombres, souligneront la monstruosité de la guerre.
Plus d’une heure durant, le narrateur Celestini (dédoublé entre Pietro et Angelo) raconte la guerre à travers une aventure rocambolesque vécue par son père, Nino, un gamin de huit ans à l’époque. Une histoire de famille, donc : comment le père accompagna le grand-père Giuliano à travers les rues d’une Rome délabrée, à la recherche de 1.000 lires pour se répartir équitablement un cochon volé aux Allemands. La « Société du cochon », se met en place, en quête d’un maigre pactole de survie.
DELIRE
Sur cette trame, des histoires de guerre s’enfilent, mi-réalistes mi-délirantes. Il y a le gamin devenu vieux lors du bombardement de San Lorenzo, le coiffeur aux belles mains, mort et ressuscité, le vieux aux chaussures flamboyantes, le gamin culotté, et l’ « idiot » qui, avec son fusil, défend un tas d’oignons… « L’histoire du monde en marche, dit le narrateur, allait broyer hommes et oignons sous ses pas de géant. »
Sous l’anecdotique périple de la « Société du cochon », Ascanio Celestini raconte « la vie sous les bombes », sa folie, ses morts et ses vivants, ses décombres, ses charniers, son business, ses allumés, ses madones, ses « mater dolorosa », et ses gamins qui pissent dans les casques allemands. Le tout soufflé par le quotidien de gens ordinaires, pris dans le méli-mélo des armées étrangères, confondant perpétuelleemnt les ennemis et les alliés. Histoires d’un idiot de guerre oscille entre la folie baroque d’un Fellini et la tragi-comédie d’un Benigni.
TOURBILLON
Sur scène, on retrouve le style Celestini : une logorrhée vertigineuse qui nous emporte dans un tourbillon. La mise en scène sensible de Michael Delaunoy a trouvé ce rythme, déployant avec fluidité cette musique singulière entre Angelo Bison et Pietro Pizzuti. Parfois, les comédiens esquissent un jeu de théâtre inutile, tant le texte mouvementé se suffit. Mais quelle drôlerie de voir Pizzuti jouer un faux mort, caché dans un charnier, une veuve dolorosa et carrément la Madone ! Sous l’œil amusé d’Angelo Bison… dont les mains virevoltent souvent à l’italienne.
Ces deux-là possèdent une force de frappe inouïe, qui rend visibles des scènes invisibles ! Dès les premières notes, happé par leur récit, on a les yeux grand ouverts, passant constamment, du rire à l’effroi et vice-versa. Au final : une « standing ovation » mémorable et méritée.
Nurten Aka © La Capitale 07/03/07

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