la pureté selon hugo claus
Théâtre - avant-propos
Rencontre avec Philippe Sireuil
Philippe Sireuil monte "Mort de chien" d’Hugo Claus au Rideau de Bruxelles. L’histoire de Mira, la prostituée, mélange de Marie et Marie-Madeleine.
La création à partir de samedi prochain au Rideau de Bruxelles de "Mort de chien" d’Hugo Claus, est une première à plus d’un titre. C’est la première fois que Philippe Sireuil s’attaque à un texte du grand écrivain flamand et c’est aussi la première fois qu’il crée un spectacle pour le Rideau à l’invitation du nouveau directeur Michael Delaunoy qui a la bonne idée de surtitrer en néerlandais ses spectacles.
Le choix d’Hugo Claus n’a rien à voir, précise Sireuil, avec sa mort récente par euthanasie. Voilà 3 ans déjà qu’il tournait autour du texte de "Mort de chien" et c’est celui-ci qu’il proposa, il y a longtemps déjà au nouveau directeur du Rideau. Mais bien entendu, la mort de Claus et le magnifique one man show que Josse De Pauw vient de réaliser au Flagey sur Claus ont relancé l’intérêt pour cet écrivain anarchiste à la force admirable.
J’étais intéressé par 'Mort de chien’ qui ressemble à un thriller mais qui permet à Hugo Claus de critiquer avec une rare virulence, l’étroitesse d’esprit d’une certaine Flandre, du catholicisme et des conventions. Son regard cauchemardesque, parfois un peu à la David Lynch par ses visions, ne vise pas seulement la Flandre d’ailleurs mais par-delà, toute la Belgique. Il est le radiographe d’un pays malade. Il faut d’ailleurs souligner qu’il écrit ce texte en plein drame, toujours non résolu, des tueurs du Brabant wallon.
"De manière complexe et fine, la pièce pose le problème de la pureté et de l’impureté. Mira est une prostituée croyante, un mélange de Marie et Marie-Madeleine. Il y 14 chapitres dans la pièce, comme les stations du chemin de Croix et le texte est truffé de références à la Passion du Christ."
"Mira a un rapport trouble à la mort, crainte et désirée la fois. Je mets en avant ses fantasmes qui posent cette question de la pureté dans nos sociétés qui veulent éliminer tous risques, voulant être propres et hygiéniques quitte à développer des dérives fascistes pour atteindre cet objectif. Le bordel est le lieu de la frontière trouble entre le désir et le commerce du désir, entre l’assassin présumé et l’officier de police. Ce qui m’a passionné c’est de donner une forme à ce propos et à ce thriller."
Guy Duplat © La Libre Belgique 18/04/2009

Une « Mort de chien » formidable
Des hommes, des monstres, un bordel : c’est du Hugo Claus au Rideau de Bruxelles
La mise en scène de Philippe Sireuil respire par les silences, les affrontements, le jeu intense des acteurs et actrices.
Le Rideau de Bruxelles s’ouvre (enfin) à Philippe Sireuil qui y ose sa première mise en scène de Hugo Claus : un formidable spectacle, porté par sa « famille » d’acteurs : Valérie Bauchau, Janine Godinas, Philippe Jeusette, Bernard Sens et Simon Wauters, des monstres magnifiques qui imposent des silhouettes, des voix tout en gardant intacte leur humanité, aussi ambiguë soit-elle. (…)
Hugo Claus n’y va pas de main morte (…) Sa langue, dense, jubilatoire (excellente traduction d’Alain Van Crugten) grouille de ses références multiples et transforme ce mélo en une grotesque et inquiétante métaphore d’une Flandre profonde, bourgeoise et catholique que Claus a toujours fustigée.
(…)Tout en s’ancrant dans un concret charnel, la mise en scène de Philippe Sireuil ne sombre pas dans le naturalisme, elle respire par les silences, les affrontements, par ce jeu intense, hors normes, à l’image de ce lien entre Mimi et son chien empaillé, ou de cette danse de plus en plus sauvage entre Mira et Georges qui s’agrippent l’un à l’autre comme à des bouées de survie… Superbe !
Michèle Friche © Le Soir

lE PARLER VRAI D'HUGO CLAUS
Philippe Sireuil monte “Mort de chien” au Rideau de Bruxelles. Le texte d’Hugo Claus garde une force intacte de dénonciation de toutes les hypocrisies. Du théâtre classique et naturaliste sans doute, mais efficace avec de très bons comédiens.
Hugo Claus nous manque déjà !
Du théâtre naturaliste, certes, mais avec une force de frappe impressionnante.
Dès les premiers mots de “Mort de chien”, on retrouve le parler cru, le parler vrai d’Hugo Claus, (…)“Mort de chien” a été écrit en plein drame des “tueurs du Brabant” qui jamais ne fut résolu. Hugo Claus avait les mots pour fustiger, fouetter et cracher, au nom d’une énorme tendresse humaine. Il aimait trop les amis, la vie, les femmes, la beauté pour accepter les esprits qui bornaient le ciel. (…) Dans le contexte de la crise belge actuelle et du désastre économique et financier général, ses tendres coups de gueule nous manquent déjà. Dans “Mort de chien”, la sainte est bien Mira, la prostituée, qui incarne la vraie pureté, Elle est Marie et Marie-Madeleine à la fois, (…)Valérie Bauchau l’incarne en montrant l’ambiguïté difficile du rôle. N’être ni pute, ni Vierge, juste Mira, celle qui ne demandait qu’à vivre. A ses côtés, Philippe Jeusette (…) campe parfaitement le journaliste local, un peu alcoolo, amant et “soutien” de Mira. Il est le double de Claus lui-même, observateur qui voit les errements mais ne peut rien changer. Janine Godinas, – formidable présence! – incarne Mimi, la tenancière du bordel et mère de Mira. (…)
Guy Duplat © La Libre Belgique 28/04/2009

la chronique de dominique mussche
Mise en scène magistrale de Philippe Sireuil au Rideau de Bruxelles
Philippe Sireuil est invité pour la première fois au Rideau de Bruxelles et pour la première fois « affronte »le théâtre d’Hugo Claus.
Le décor c’est le Bar « Mimosa », un bordel sur la route entre Gand et Courtrai. Il y a en vitrine –en quelque sorte – un trio. Au centre, Mira, la belle prostituée, épileptique, sombre comme la mort. La mort qui rôde tout au long de cette pièce.
Et on commence par la mort d’ailleurs puisqu’on apprend au lever du Rideau qu’une autre prostituée, une amie de Mira, vient d’être étranglée. Donc il y a un côté thriller aussi dans cette pièce.
Mira magnifiquement incarnée par Valérie Bauchau et puis sa mère Mimi qui est la tenancière – là c’est Janine Godinas qui joue le rôle, flanquée de son labrador empaillé, totalement cynique. Et puis il y en a un troisième, Georges qui est le souteneur en quelque sorte, qui est aussi plein d’ambition intellectuelle, chroniqueur culturel dans une petite gazette locale. Qui porte un titre extraordinaire cette gazette ! C’est le Courrier de la Lys. Et là de nouveau, Philippe Jeusette au sommet de sa forme !
Donc trois personnages très forts, complexes, habités tous finalement par des désirs inassouvis, par des ambitions déçues ou alors par des amours mortes dans le cas de la mère Mimi.
Et alors, face à ce trio, il y a les deux policiers, les deux flics : Bernard Sens et Simon Wauters sont les comédiens qui incarnent ces deux flics.
Alors, on retrouve vraiment le Hugo Claus pourfendeur de la bourgeoisie, anti-clérical, mais hanté finalement par l’image de Dieu. Cette langue aussi foisonnante.
Philippe Sireuil réussit à transmettre toute la puissance de cette pièce et probablement c’est parce qu’il refuse ce réalisme et le naturalisme. Et donc cette pièce a des résonances qui vont bien au-delà de ce qu’on voit sur le plateau.
Il s’est entouré d’une équipe magnifique, on vient de parler des cinq comédiens, ce sont des familiers de Philippe Sireuil, il les connaît, il sait jusqu’où il peut les mener. Et puis il faut parler aussi de tous les autres, la créatrice des costumes c’est Catherine Somers, c’est Vincent Lemaire le scénographe, toujours aussi génial.
Bref, c’est vraiment un spectacle à voir absolument !
Dominique Mussche © RTBF / Musiq3 / Hamlet 02/05/2009

le blog de christian jadE
Sale temps pour les prostituées : Mort de chien (Hugo Claus)
Hugo Claus, (le plus grand écrivainflamand du XXè siècle) a mis fin à ses jours par euthanasie il y a un an. Il a préféré ne plus subir la disparition progressive de sa personnalité par la maladie d’Alzheimer.
En guise d’hommage, le metteur en scène Philippe Sireuil propose, au Rideau de Bruxelles, une transposition contemporaine de cette œuvre à la fois naturaliste et métaphysique
CRITIQUE
C’est l’histoire de Mira, une prostituée de basse classe, qui exerce sur une autoroute, entourée de sa mère et de son maquereau, critique d’art. Sa meilleure copine vient d être assassinée et elle craint le même sort. Deux acteurs tiennent le crachoir : Philippe Jeusette, (Georges, le maquereau de Mira, critique d’art dans un journal…socialiste) et Jeanine Godinas (Mimi, la mère, vieille prostituée cynique, avec un chien empaillé comme unique tendresse) :ils se livrent à un assaut de cynisme désinvolte.. Bernard Sens y fait une apparition finale fracassante en flic presque curé (P.J), avec un acolyte glauque, Frans, le prometteur Simon Wauters. Mercredi soir, le rôle de Mira, tenu par Valérie Bauchau nous a paru un peu fragile. C’est que la mise en scène de PH. Sireuil tire la pièce plus du côté d’un symbolisme élégant que du naturalisme d’origine. La Traviata, obsédante musique de fond, voulue par Claus lui-même, tire P. Sireuil dans une ambiance désabusée d’opéra romantique plus que dans un sordide bordel routier. La scénographie élégante de Vincent Lemaire, le costume «chicos» de Catherine Somers transforment Valérie/Mira en une pensionnaire, un peu froide, plus proche de la maison parisienne de «Madame Claude» que d’un bordel flandrien crado. Problème des francophones avec la vulgarité flamande ?
La version de Vendredi, du même Hugo Claus, mise en scène par Christophe Sermet, avec moins de moyens scéniques, au Théâtre le Public, en 2005, nous semblait plus proche de l’esprit de Hugo Claus, anarchiste décadent et violemment dérisoire vis-à-vis des valeurs sociales.
Christian Jade RTBF 30/04/2009

coups de gueule
« Mort de chiennes » eût été un titre trop explicite pour ce texte, qui démoralisera curés et partons de la bienséance théâtrale. Oubliez les tabous pour passer derrière la vitrine du bar Mimosa, où le sexe, l’alcoolisme et le meurtre côtoient les politiciens, les flics, et la vie, dans toute sa splendeur dérisoire.
Pour ceux qui ne connaîtraient encore que le nom d’Hugo Claus, voici un hommage réussi à son œuvre ; une pénétration abrupte dans un univers qui abat la calotte et baisse les pantalons de toute la Belgique. Les accents bruxeleir épousent un texte cru mais plein d’intelligence. Le décor est explicite et pleinement habité, puisque c’est dans ce salon exigu que tout se passe, en temps et heure. Deux heures donc, pour sabrer la champagne en l’honneur de la décapitation de l’amie Janine, pour pleurer sa mort et la fin prochaine de Mira, pour oublier qu’on a la vie qu’on mérite mais qu’elle est quand même nulle, que les putes sont les anges gardiens des hommes que la routine tue, que les mères peuvent être maquerelles, et les souteneurs amoureux. « Nous sommes couchées à leurs pieds, prêtes à encaisser la poubelle pleine de pourriture qu’ils ont dans la tête, et c’est à nous qu’ils crèvent la paillasse, parce qu’on est trop bonnes pour eux ». Les mots sont crachés, tout n’est qu’agression pour mieux masquer un amas d’humanité gangrenée, comme la bouche de Zorro, le vrai chien empaillé que la mère balade partout.
Politique, mœurs sexuelles, familles, meurtres irrésolus…Bienvenue au bal des pauvres gens, qui ont encore le pouvoir de parler sans être abattus par les conservatismes.
Folie bordélique
Mira hésite : se battre, être encore femme et respectée, belle et jeune, ou se laisser aller à la maladie, aux pénétrations malsaines, à l’acceptation d’une condition fatale ? Qui l’aidera ? Jojo, le journaliste raté qui console son mal-être en se rendant inutile et voyeur ? Mimi, la brave mère qui défend son bordel et l’honneur de ses créatures ? Ou les flics véreux qui usent de leur matraque pour mieux asseoir leur horrible perversité ? Le spectateur est coincé dans ce cocon, attiré par ces alliances improbables, happé par des mots pleins d’ironie et de belgitude.
Si le doute est permis quant à l’issue de l’histoire, il n’y en a aucun sur la crédibilité accordée aux acteurs. Tous assument leurs rôles et nous hypnotisent dans cette réalité obscure et trop souvent niée. Voici les femmes mises à l’honneur. Loin des mères de famille.
Une ôde au théâtre belge, à nos vies de chiens, à l’hypocrisie des puissants, et à Philippe Sireuil, qui parvient toujours à magnifier les textes de nos grands auteurs.
Julie Lemaire (Bruxelles) © www.ruedutheatre mai 2009

portrait de janine godinas
Sur le site www.comediens.be

vie et mort d'une prostituée, en Flandre
D'un mélo métaphorique dans un bordel, Hugo Claus et Philippe Sireuil forgent une tragédie du sacrifice : un formidable Mort de chien au Rideau de Bruxelles.
(...) Mort de chien, écrite en 1982, (...) gifle toute hypocrisie, dans une langue flamboyante, crue et sauvage, poétique et biblique (traduction d'Alain van Crugten). Telle que l'a mise en scène Philippe Sireuil, portée par des interprètes magnifiques, l'oeuvre dépasse son naturalisme.
(...) Tous imposent des silhouettes, des voix, des carrures hors normes, au-delà du réalisme, tout en laissant surgir une douloureuse humanité. C'est l'immense force de ce spectacle sculpté au scalpel, cerné par la musique de la Traviata, qui brasse le rire, l'angoisse, la terreur.
Michèle Friche © Le Vif/L'Express 8-14 mai 2009

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