chRONIQUE THÉÂTRE MUSIQ3 - RTBF
Nous commémorons la chute du mur.
Lundi dernier, on se rappelait les moments euphoriques qui avaient accompagné l’évènement. Mais tout n’est jamais totalement rose et le théâtre permet parfois de teinter les évènements et même les évènements historiques.
Vous avez assisté hier soir à Liège au Théâtre de la Place à la première d’une pièce d’un auteur français, Christophe Pellet, cette pièce, c’est Loin de Corpus Christi...
Vous dites première, c’est même une création mondiale parce que c’est la première fois que cette pièce est montée. Christophe Pellet est un auteur français d’une quarantaine d’années aujourd’hui et il vient de recevoir le grand prix de la littérature dramatique qui est une belle récompense en France. On ne le connaît pas encore très bien en Belgique d’où l’intérêt de découvrir cette pièce.
Il s’agit d’une pièce chorale qui met en scène une foule de personnages que l’on retrouve à des époques et dans des lieux différents.
Tout part d’une enquête ou d’une quête si vous préférez mais les deux sont évidemment souvent liées. On est à Paris aujourd’hui, il y a un personnage féminin, elle s’appelle Anne, elle a été malmenée par la vie et se réfugie dans le cinéma hollywoodien des années 40. Un jour, elle est fascinée par la beauté d’un jeune acteur, Richard Hart, qui est totalement tombé dans l’oubli. Il est né à Corpus Christi (qui est cette ville du Texas) d’où le titre de la pièce. Elle va s’engager sur les traces de cet acteur et nous entraîne dans un parcours qui commence à Hollywood en 1947 pour se terminer en 2001 quand se dévoilent les archives de la STASI. On est donc bien à Berlin où, entre parenthèses, vit d’ailleurs l’auteur aujourd’hui.
On va rencontrer au passage Bertolt Brecht qui, on le sait, a fui l’Europe nazie pour se retrouver victime du maccarthysme. Après la guerre, il reviendra s’établir à Berlin-Est. On rencontre également un autre personnage féminin, de fiction lui, qui va parcourir le chemin inverse.
Une immense fresque donc qui dépeint l’intime, qui dépeint l’individu mais confronté à l’Histoire. On peut dire que c’est un théâtre-épopée mais écrit de manière tout à fait limpide.
L’image joue un rôle important à la fois dans le scénario mais aussi dans le texte avec une vision très critique de la part de Christophe Pellet qui est pourtant un passionné de cinéma. L’image est évidemment le moteur de l’action puisqu’on part de ce visage d’un acteur hollywoodien mais elle manipule aussi l’être humain, le rend tout à fait passif et peut être une arme politique (cf le maccarthysme et les studios de la MGM).
Alors Michael Delaunoy, qui met en scène la pièce, aime les défis et déjoue tous les pièges. D’abord ce rôle très important de l’image : comment faire passer l’image sur scène ? Il a fait appel à Fred Vaillant qui est un virtuose du genre et appuie entièrement sa scénographie sur l’image. Des photos d’époque en noir et blanc mais aussi des images abstraites colorées projetées sur deux structures très simples qui constituent les seuls éléments du décor.
Un panneau en fond qui joue à certains moments les fenêtres, transparent ainsi qu’une immense sphère suspendue au-dessus de la scène comme une espèce de poids menaçant au-dessus des comédiens, c’est une métaphore visuelle tout à fait réussie.
Comment gérer également cet aspect choral, ce va-et-vient perpétuel entre présent et passé ? Michael Delaunoy reconstitue le puzzle avec un maximum de clarté pour le spectateur : des didascalies s’inscrivent au fond de la scène un peu comme dans les films muets (New-York, 1947, Hollywood par exemple).
Il reste à noter l’excellente distribution belgo-suisse (le spectacle est une coproduction avec la Comédie de Genève).
Bref, du très beau travail...
Le spectacle se jouera au Rideau hors les murs, au théâtre Marni, à partir du 28 novembre.
Dominique Mussche
© RTBF / Musique 3 - 13/11/2009

L'image À travers l'histoire
Anne croit au pouvoir obsédant de l’image et à son immortalité. Cinéphile et biographe, elle se lance à désir perdu dans une quête de beauté idéale, à la recherche de Richard Hart, obscur acteur du Hollywood faiseur d’étoiles des années 40. Autour de ce pantin de l’histoire, des vies se croisent, parmi lesquelles Norma, jeune socialiste pleine d’idéaux, et Brecht, exilé de l’Allemagne nazie. D’un jeu continu de flashbacks, de sauts de jeunesses évolutionnaires à des vieillesses trahies, Christophe Pellet traverse l’histoire de 1947 à 2009, entre Paris,Hollywood et Berlin-Est.
Richard Hart a existé. Produit de l’industrie cinématographique aussi fascinante que critiquable, cet « animal sauvage » que les femmes croyaient indomptable s’avèrera le parfait fruit du système de répression qui l’avait engendré. Victime autant que traître, amant des masses capitalistes avides d’innocence, il est l’incarnation transparente de cette beauté pure pour laquelle hommes et femmes se battent. Ainsi, de leur jeunesse à l’aube de leur mort, des rêves socialistes aux grandes désillusions qui font miroir à notre vingt-et-unième siècle, les personnages, aux yeux du public adulte et attentif, restent les mêmes. Tandis que le temps rythme la pièce, ils gardent costumes, voix et caractères, et retransmettent l’idée d’une modernité qui s’éloigne de l’image du Christ, pour recréer d’autres idoles. Victimes sans être dupes, ils savent aussi réfléchir à la fascination dévorante de l’image, reflet d’une société enchaînée, dictée, et manipulée.
Cette modernité ambiguë, Michaël Delaunoy a su la recréer sur scène, signant un nouveau chef d’œuvre de mise en scène, après « Black Bird » ou encore « l’Abécédaire des temps modernes ». Il ouvre la scène au cinéma ; les vivants, acteurs belges reconnus et acolytes suisses, regardent des images mortes et interagissent avec elles. Le noir et blanc fait vivre le texte, les plans se superposent sans se dévorer, tout a sa place, est parcimonieux. Une énorme boule plane au-dessus des acteurs, leur rappelle une autre époque. Studio de la société de production MGM, chambre de Richard Hart où l’amour est trahi, appartement de Norma duquel on imagine les rues berlinoises libérées,…Tous les lieux prennent vie par une présence dynamique et des créations lumières allusives. La scénographie fait feu sur l’image, influence le dialogue scénique, rapporte des effets techniques aussi raffinés qu’époustouflants, et la vie se mêle parfaitement à l’immortel, l’histoire aux hommes.
Pourtant, si la pièce tombe à pic pour nous rappeler un monde divisé jusqu’il y a vingt ans, la réflexion historique vient davantage en toile de fond qu’en réel panorama explicatif. Le spectateur averti comprendra les références, des studios hollywoodiens à l’ouverture des archives de la Stasi, des rouges pourchassés jusqu’à la tombée du mur et l’ouverture des archives de la police secrète allemande, et se réjouira d’écouter Brecht parler de distanciation sur scène. L’amateur pourra se perdre dans un texte parfois trop abstrait et mécanique, plus écrit que parlé. Malgré le talent hors-pair des orateurs, le discours manque un peu de vie, d’expressions spontanées, de rebondissements. L’écriture est douce, littéraire, sans grands fracas.
Le spectateur quittera la salle ému par les destins personnels écrasés par l’histoire, étonné de constater que le vingtième siècle explique le nôtre, interloqué par l’interaction ciné-théâtre assez rare sur scène, et à ne pas manquer lorsqu’elle est si bien réussie.
Julie Lemaire © www.ruedutheatre.eu 16/11/2009

l'IMAGE ET SES FANTÔMES
Une fresque complexe et un plateau travaillé par l'image : Michael Delaunoy met en scène, au Rideau de Bruxelles, ce fascinant Loin de Corpus Christi de Christophe Pellet
[…]
Vous serez piégé, égaré, envouté, par cet étrange suspens aux contours philosophiques.
[…] les énigmes ne s’élucident que partiellement dans l’écriture de Pellet, poétique, dense et architecturée tout à la fois. D’une intelligence jamais sèche, même distante, la scène de Michael Delaunoy quadrille la palpitation charnelle et l’aura des fantômes […] et joue surtout avec la réalisation vidéo de Fred Vaillant, superbe déambulation dans l’image, sa perception intime et ses dilutions abstraites projetées sur une sphère suspendue, sur les parois translucides, sur les corps des comédiens tous au diapason.
Michèle Friche © Le Vif L’Express 11/12/2010
|