familles aimÉes/haÏes
De Bruxelles à Liège crient les enfants et grondent les chiens de “Barbelo”.
Plus que jamais nomade - et toujours en quête d’un théâtre -, le Rideau de Bruxelles présente au Marni cette coproduction belgo-franco-suisse où il est impliqué avec, entre autres, le Théâtre de la Place à Liège et la Comédie de Genève. [...] "Barbelo, à propos de chiens et d’enfants" réunit une distribution belgo-suisse autour du texte fort de Biljana Srbljanovic.
[...]
Des enfants et des chiens, il y en avait déjà dans "Histoires de famille" (mise en scène de Miriam Youssef, au Zut, en 2008). Ils sont comme les fantômes et en même temps les héritiers - innocents, responsables - de l’ex-Yougoslavie. Il y a quelque chose de déroutant dans le théâtre de Biljana Srbljanovic, une étrangeté pourtant familière, faite de ruptures de style, de rapports sous-jacents, une intersection implosive entre la comédie et l’enfer du réel.
Anne Busang, comme elle, est adepte des décalages. Si le jeu des acteurs, parfois, affecte un classicisme étonnant, sa mise en scène épouse avec bonheur les sursauts du rythme, de même que l’ironie qui sous-tend la pièce. Quant aux didascalies, que l’auteur pratique comme des extensions de sa position propre, Anne Busang les donne à voir sous forme d’incises. Ainsi celle-ci, la première d’une série : "A mes amies : celles qui se sont suicidées, et les autres."
Marie Baudet © La Libre Belgique 12/11/2010

du ventre aux chiots
Barbeló, un endroit chaud et hors du temps. La matrice régénératrice de la mère…Puissent les personnages de cette pièce hermétique, héros affamés d’humanité, recréer les liens que la société serbe d’après-guerre a égarés
.De la crise identitaire à la défenestration, Biljana Srbljanovic, auteure de la
«Trilogie de Belgrade » et d’ « Histoires de famille » (Zut, 2008) trouve humour et ironie dans les sujets les plus sombres ; sa vérité est sublimée par la richesse artistique de la metteuse en scène suisse Anne Bisang.
Le propos central de "Barbeló" se résumerait en deux mots : crise d’identité. Celle d’un enfant boulimique par rapport à un père coincé, incapable de dire le suicide de sa femme autrement qu’avec des métaphores débilitantes ; celle d’une femme-enfant qui voudrait s’enfoncer dans la peau du ventre de sa mère pour oublier ses fantômes et faire naître un innocent.
De la folie délirante de ces trois personnages centraux (triangle biblique) naît un dialogue acerbe, vif, tantôt hyper réaliste, tantôt surréaliste : quand la métaphore devient centrale, que les morts rendent visite au plateau et que les mères accouchent de chiens.
L’humour noir fait sourire un public collé aux images plutôt qu’au texte. Dans ce ressassement cyclique d’âmes en quête de liens, d’autres personnages naissent, ainsi que notre confusion. Le fantôme d’une mère sous la pluie, un policier détraqué qui devient amant, un vétérinaire avorteur… Finalement, encore un texte qui demandera réflexion et connaissance de l’auteure pour être apprécié à sa réelle valeur, bien que l’originalité des costumes et de la scénographie méritent à eux seuls la salle pleine de la première, au Marni.
Un anneau géant crache de la pluie (oui, de la vraie pluie sur scène) et des images vidéo (sont-elles bien nécessaires ?) ; il symbolise une alliance perdue dans un pays en quête de liens que même la famille ne prodigue plus. Comment faire alliance, se sentir moins seul ? Avec qui ?
Si les liens de sang eux-mêmes sont bafoués, pourquoi pas un avortement de chiens ? Dans ce marasme bien exprimé par chaque scène, où même la maternité est mise à mal, reste l’espoir d’accoucher quelque chose de nouveau. Auteure et metteure en scène se sont trouvées, car elles semblent encore croire au potentiel salvateur du théâtre, et à sa dimension magique.
Les huit acteurs défendent ce texte complexe avec la même force. Leur propos, ainsi que leur personnage, n’est à aucun moment renié. Tous excellent dans leurs rôles diaboliquement sarcastiques. Lise Wittamer (« Grow or go », « Phèdre ») est particulièrement vibrante d’humanité dans l'incarnation de Milena, la poupée au bord de la casse. Le public ne décrochera pas de cette folie orchestrée par le jeu d’acteurs et la puissance des scènes, mais il appréciera d’autant mieux le texte qu’il y sera préparé
Julie Lemaire © Rue du théâtre publié le 16/11/2010

PUZZLE DE CHIENS ET D'ENFANTS
Depuis 1997, La trilogie de Belgrade, Histoires de famille, La chute, Supermarket les comédies grinçantes de Biljana Srbljanovic, s’imposent sur toutes les scènes européennes
Cette Serbe « critique » parvient souvent, avec humour, à rendre compte des contradictions des guerres balkaniques (1990/1995) puis des sentiments mitigés ayant suivi l’intervention de l’Otan en 1999 contre Milosevic et sa politique d’annexion agressive du Kossovo. Son nom d’apparence imprononçable (Srbljanovic phonétiquement cela donne à peu près « Serbeujanovitch ») sa jeunesse triomphante…et la qualité de son écriture scénique en font une idole des plus grands metteurs en scène, d’Ostermayer en Allemagne à Berutti en France ou en Belgique. Le Festival de théâtre de Liège, le Théâtre de la Place, sous l’impulsion de J.L. Collinet, l’ont accueillie plusieurs fois (La Chute, Supermarket). Et le jeune Thibaut Nève nous a fourni une hilarante version de la Trilogie de Belgrade alors que Myriam Youssef déployait ses Histoires de famille. Biljana, la coqueluche.
Ce préambule positif pour vous dire que son dernier texte, Barbelo, à propos de chiens et d’enfants nous a plongé dans une grande perplexité. Deux heures à voir déambuler des acteurs dans un bel espace scénique, dû à Anna Popek : un énorme cercle mouvant, capable de véhiculer des acteurs en équilibre instable, de cracher la pluie ou d’être une source d’images vidéo. Technique impeccable, visuel séduisant des tableaux créés, acteurs engagés mais au service d’un texte curieux, qui nous échappe constamment. Cà commence plutôt bien par un dialogue père-fils musclé qui pose le problème central, celui de l’identité et de la descendance. Et accessoirement de la politique pour le père et de la boulimie du fils. Deux maladies? A partir de là apparaît une mère morte, filée dans un paradis improbable et remplacée par une très jolie belle- mère aguichante, enceinte ou pas( ?), qui tient un rôle central écrasant : excellente performance de Lise Wittamer, dans le genre réaliste, qui a une aventure avec un voisin de palier, Fabrice Adde, un flic un peu sous-employé ici. Surgit alors un chien que le dénommé Barbero-allure de sans-papiers en hiver- appelle sa mère( !), puis une femme qui a accouché de quatre de ces gentils monstres canins inoffensifs et qui seront éliminés par un vétérinaire. Pour ajouter à la confusion qui gagne le plateau, les didascalies de l’écrivaine qui se moque de son écriture.
On passe son temps à essayer d’assembler ce puzzle un peu fou, à compter les couches de sens dissimulé dans ce hachis Parmentier un rien indigeste, pour essayer de comprendre ce que d’excellents acteurs (dont Vincent Letellier , Fabrice Adde et Nicole Cochat) ont voulu nous communiquer. A la sortie on consulte le dossier de presse, dans l’espoir d’une illumination sur cette saga animalière et enfantine. Et sur la difficulté à distinguer l’homme de l’animal, fil rouge du récit (après la guerre de Yougoslavie, et toutes les autres qui ont suivi on peut comprendre que les hommes soient des bêtes pas du tout inoffensives, comme ici, métaphore un peu simpliste) l’auteure, Biljana S., nous livre l’explication suivante :
« Barbelo est une notion qui, dans l’histoire de la Chrétienté, fait
référence à la première émanation de Dieu, sa proto-origine, La
Cause première, le principe originel, une sorte d’espace
métaphysique qui est la source de tout, même la nôtre.
Pour moi, Barbelo est la matrice d’une mère, un endroit protégé
et chaud, hors du temps et précédent le début de tout (…). Sa
Dimension religieuse n’est pas essentielle du tout, au contraire.
Barbelo est l’endroit d’où nous venons et où beaucoup
voudraient retourner se cacher, et chacun devrait pouvoir décider ce que c’est. ».
Voilà : à vous de décider du sens à donner à ce carrousel de personnages en mal de vivre et en recherche infinie de tout et de rien, de l’humanité, de l’animalité, de la matrice originelle, débrouillez-vous. La mise en scène d’Anne Busang est esthétiquement bien faite mais ne rend pas compte de la folie, du délire qui traverse tous les personnages. Comme si elle avait voulu traduire en langage quotidien, accessible à tous, des folies beaucoup plus intimes et insolubles.
Christian Jade © RTBF.BE publié le 11/11/2010

l'évangile selon les chiens ou comment revenir à l'origine du monde
{…} Comme Tintin et Milou, Anne Bisang devait rencontrer Biljana Srbljanovic, auteure phare dans son pays et valeur montante du théâtre européen. Elle le devait, tant il y a de correspondances entre les deux femmes: même sens du burlesque au coeur de la tragédie, même forme d’engagement poético-politique, même propension à sauter d’un genre à l’autre, de l’onirisme au vaudeville, de l’absurde à l’allégorie, de la mythologie à la comptine pour enfants.
{…}
A l’aise dans ces variations de rythme, Anne Bisang apporte, par la clarté de sa mise en scène, une lisibilité que le texte, foisonnant et déroutant, n’offre pas forcément à la première lecture. Mais surtout, les deux femmes partagent la conviction que le théâtre peut, ou doit, réenchanter le monde.
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Marie-Claude Martin © Les Quotidiennes 01/10/2009

une alice aux enfers à la comédie
{…} Sur la scène de la Comédie de Genève, l’affaire se raconte sur un mode plus ironique que tragique.
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L’ironie apparaît aussi dans le jeu dicté par Anne Bisang. Souvent, les personnages parlent face au public sans se regarder. Les mots tombent comme des couperets et laissent orphelins ceux à qui ils sont destinés. Ce procédé a deux qualités. Il renforce ce climat lynchéen de figures égarées. Et permet d’éviter tout pathos.
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Marie-pierre Genecand © Le Temps 01/10/2009

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